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HOMMES D’ÉTAT DE LA GRANDE-BRETAGNE.

roman. Il avait cet irrésistible enthousiasme, ce feu de la passion et du génie, cette force électrique, qui embrasent et secouent les plus grossières natures et les élèvent par momens jusqu’à l’héroïsme. Nelson est mort jeune : s’il avait vécu, il ne serait certainement jamais devenu diplomate ou premier ministre ; mais le dernier de ses compagnons d’armes serait mort volontiers avec lui et pour lui, par affection pour l’homme non moins que par enthousiasme pour le chef, et c’est toujours son nom qui attire le plus impérieusement toutes les sympathies d’une ardente jeunesse, dans les pages glorieuses de nos annales militaires.

En 1814, le duc de Wellington représenta la Grande-Bretagne au congrès de Vienne, d’où il fut rappelé, en 1815, pour prendre part aux opérations militaires dirigées contre Napoléon.

L’histoire de cette grande année appartient à l’histoire générale de l’Europe, et ne rentre pas dans le cadre limité des portraits de nos hommes d’état. Mais j’ai une observation à faire sur les jugemens portés, en France, à l’égard du général anglais, ou le rôle qu’il a joué dans ces derniers évènemens. Je les trouve injustes et défectueux sous plus d’un rapport. Quand l’empereur, dans les conversations de Sainte-Hélène, affecte de mettre Wellington au-dessous de Blucher, comme général, et lui impute fautes sur fautes dans la campagne de 1815, est-ce une appréciation impartiale et raisonnable que puissent accepter sans réserve les plus passionnés admirateurs de Napoléon ? Au contraire, ne sait-on pas fort bien maintenant que si les conseils de Wellington eussent été suivis, ils auraient probablement épargné, à l’armée prussienne, l’échec du 16 juin à Ligny[1]. À l’égard de sa conduite en France, pendant l’occupation, il est possible que sa nonchalance et sa raideur lui aient fait peu d’amis ; au moins ne peut-on l’accuser d’avoir manqué à aucun devoir sérieux de sa haute position. Je n’en excepte pas même la malheureuse affaire du maréchal Ney ; car bien que je regrette qu’en cette conjoncture, l’influence du gouvernement de ma patrie ne se soit pas exercée

  1. Tous ceux qui connaissent le duc de Wellington savent combien peu sa modestie et l’idée qu’il se fait lui-même de son propre mérite encouragent les ridicules exagérations auxquelles se livrent ses compatriotes en exaltant sa gloire et son génie militaire. Quant à Napoléon, Wellington a toujours parlé de lui avec la profonde admiration d’un homme de guerre, qui seul est en état de bien apprécier en lui le plus grand capitaine du siècle. Avant la bataille de Waterloo, il a sévèrement blâmé les dispositions prises par l’empereur ; mais il ajoutait : « Et cependant c’est notre maître à tous ; auprès de lui, nous ne sommes que des écoliers. » Voici le jugement qu’il porte sur les plus distingués des généraux étrangers avec lesquels il s’est trouvé en contact. « Blücher pour la bataille ; Soult pour la campagne ; Masséna pour les deux. »