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qui ne blesse ni étonne chez un vieux soldat. Malgré sa froideur apparente, personne, on peut le dire en toute vérité, ne s’est plus fortement attaché le petit nombre d’hommes qui ont vécu dans son intimité.

Wellington exerce à Londres et dans sa magnifique terre de Strathfieldsaye, témoignage de la reconnaissance nationale, une large et splendide hospitalité. La fête annuelle du 18 juin, donnée à tous les officiers qui servaient sous ses ordres à Waterloo, est toujours du plus grand éclat. Ses salons d’Apsley-House[1] resplendissent alors de l’immense vaisselle d’or et d’argent, des armes, des services de table, que les rois, les assemblées et les villes lui ont offerts en diverses circonstances. Mais la fête du 18 juin commence à prendre un aspect plus triste, car les lois ordinaires de la nature diminuent chaque année le nombre des compagnons d’armes appelés à y prendre part, et c’est moins une réunion de ceux qui survivent qu’une revue solennelle des pertes qui, d’une année à l’autre, en ont éclairci les rangs.

Les grands services rendus par le duc de Wellington à son pays ont été largement reconnus par la nation. Le parlement lui a voté, à l’occasion de différentes victoires, des sommes qu’on évalue à près de 700,000 livres sterling (17,500,000 francs), y compris le domaine de Strathfieldsaye. Mais il déclina prudemment la proposition qu’on lui fit de consacrer une partie de ces dons à la construction d’un palais, tel que celui de Blenheim, élevé en l’honneur du duc de Marlborough, grand capitaine et diplomate comme lui. Pour se faire une juste idée de sa fortune, il faudrait encore ajouter à ces témoignages de la reconnaissance nationale les appointemens de ses dignités militaires, et des ministères qu’il a remplis, ainsi que les revenus des grands domaines que les souverains étrangers lui ont donnés en Espagne, en Portugal et en Belgique, avec les décorations et les titres dont il est accablé. Puisse-t-il en jouir long-temps encore ! Il n’est pas probable qu’à son âge un nouveau retour de la fortune le reporte au faîte du pouvoir ; mais il est à désirer que l’Angleterre ne perde pas de si tôt cet exemple de probité, de noblesse d’ame et de loyauté sans tache qu’il offre à une génération au sein de laquelle ces hautes qualités sont de jour en jour plus rares.

Londres, octobre 1837.
Un membre du parlement.
  1. Résidence du duc de Wellington à Londres.