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gourmandise même, y sont non-seulement souffertes, mais utilisées. Avant d’accepter ces faits qui se passent à trois mille lieues de nous, attendons une réalisation moins lointaine et plus à portée d’un contrôle.

Voilà où en était la méthode de Fourier, surveillée par lui, appliquée sous ses yeux, quand la mort est venue l’atteindre à l’âge de soixante-six ans. Depuis huit mois, la maladie l’avait enveloppé de manière à ne laisser d’action qu’aux palliatifs. Pas plus à ses derniers momens que dans le courant de sa vie, ses amis n’ont fait défaut à sa glorieuse indigence. Il est mort pauvre, mais entouré de soins, comme eût pu l’être un riche.

Fourier était petit et maigre ; mais sa physionomie avait le plus beau caractère. Il portait dans le regard quelque chose de profond et d’amer, d’élevé et de malheureux ; et sur son front pouvait se lire le problème social dont il poursuivit si long-temps la solution au milieu de l’indifférence et du sarcasme,

COUP D’ŒIL GÉNÉRAL SUR LA DÉCOUVERTE.

Le grand tort de Charles Fourier a été celui-ci : né, pour ainsi dire, hors de nos sphères, il n’a jamais daigné comprendre qu’il fallait y vivre pour y acquérir quelque ascendant. Quand il se fut posé à lui-même, et dans l’assentiment de sa pensée, tous les termes d’une équation gigantesque, il les crut à l’instant même acceptés par tout le monde. Plus il marcha dans sa découverte, plus cette prétention se fortifia en lui. Au début, mieux conseillé par le besoin d’un succès, quand il voulait parler à la foule, il se mettait à peu près à la hauteur de son oreille ; mais quand, plus tard, il se fut enivré de sa spéculation, ces derniers ménagemens cessèrent. Parce qu’il avait marché, il s’imagina qu’on l’avait suivi ; il parla de sa théorie comme d’un fait régnant, d’un fait dominateur ; il en parla dans une langue qu’il avait créée pour elle, et que dès-lors il regardait comme universellement admise. De la part d’un créateur, cet orgueil s’explique et se justifie. Pour l’artiste, la Galatée était complète ; il l’avait pétrie de sa main, il l’avait animée de son souffle, et, glorieux de la voir sourire, il ne croyait pas que personne eût le droit de nier sa vie et sa beauté.

Cet état d’extase et d’isolement, d’idée fixe et souveraine, ne permit pas à Fourier de donner à ses révélations une forme qui en rehaussât la valeur, une forme attrayante pour les gens du monde, concluante pour les savans. Exact et méthodique dans ses idées,