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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/544

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forte, et que son intelligence n’était pas plus éclairée que ne le comportaient le temps et le monde où elle vivait. Avec cela, je ne sais s’il a jamais existé de femme meilleure et plus charmante. Les autres femmes, jalouses de sa beauté, de son opulence et de sa vertu, s’en vengeaient en assurant qu’elle était bornée et ignorante. Il y avait de la vérité dans cette accusation ; mais Bianca n’en était pas moins aimable. Elle avait un fond de bon sens qui l’empêchait d’être jamais ridicule, et, quant à son manque d’instruction, la naïveté modeste qui en résultait était chez elle une grace de plus. J’ai vu autour d’elle les hommes les plus éclairés et les plus graves ne jamais se lasser de son entretien.

Vivant ainsi à l’église et au théâtre, dans la mansarde du pauvre et dans les palais, elle portait avec elle en tous lieux la consolation ou le plaisir, elle imposait à tous la reconnaissance ou la gaieté. Son humeur était égale, enjouée, et le caractère de sa beauté suffisait à répandre la sérénité autour d’elle. Elle était de moyenne taille, blanche comme le lait et fraîche comme une fleur ; tout en elle était douceur, jeunesse, aménité. De même que, dans toute sa gracieuse personne, on eût vainement cherché un angle aigu, de même son caractère n’offrit jamais la moindre aspérité, ni sa bonté la moindre lacune. À la fois active comme le dévouement évangélique et nonchalante comme la mollesse vénitienne, elle ne passait jamais plus de deux heures dans la journée au même endroit ; mais dans son palais elle était toujours couchée sur un sopha, et dehors elle était toujours étendue dans sa gondole. Elle se disait faible sur les jambes, et ne montait ou ne descendait jamais un escalier sans être soutenue par deux personnes ; dans ses appartemens, elle était toujours appuyée sur le bras de Salomé, une belle fille juive, qui la servait et lui tenait compagnie. On disait à ce propos que Mme Aldini était boiteuse par suite de la chute d’un meuble que son mari avait jeté sur elle dans un accès de colère, et qui lui avait fracturé la jambe : c’est ce que je n’ai jamais su précisément, bien que pendant plus de deux ans elle se soit appuyée sur mon bras pour sortir de son palais et pour y rentrer, tant elle mettait d’art et de soin à cacher cette infirmité.

Malgré sa bienveillance et sa douceur, Bianca ne manquait ni de discernement ni de prudence dans le choix des personnes qui l’entouraient : il est certain que nulle part je n’ai vu autant de braves gens réunis. Si vous me trouvez un peu de bonté et assez de fierté dans l’ame, c’est au séjour que j’ai fait dans cette maison qu’il faut