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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/563

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LA DERNIÈRE ALDINI.

Dieu, et trouver dans cet amour sanctifié par l’église la force de mépriser le monde à mon tour. Depuis long-temps, je vis mal, je pèche sans profit pour mon bonheur, j’expose mon salut éternel sans trouver la joie de mon ame. Maintenant je l’ai trouvée et je veux la goûter pure et sans nuages ; je veux dormir sans remords sur le sein d’un homme que j’aime ; je veux pouvoir dire au monde : C’est toi qui perds et corromps les cœurs. L’amour de Nello m’a sauvée et purifiée, et j’ai un refuge contre toi ; c’est Dieu qui m’a permis d’aimer Nello, et qui désormais me commande de l’aimer jusqu’à la mort.

Bianca me parla encore long-temps de la sorte. Il y avait de la faiblesse, de l’enfantillage et de la bonté dans ces naïfs calculs de sa fierté, de son amour et de sa dévotion. Je n’étais pas moi-même un esprit fort. Il n’y avait pas long-temps que je ne m’agenouillais plus soir et matin, dans la chaloupe paternelle, devant l’image de saint Antoine peinte sur la voile, et quoique les belles dames de Venise me donnassent bien des distractions dans la basilique, je ne manquais jamais à la messe, et j’avais encore au cou le scapulaire que ma mère y avait cousu en me donnant sa bénédiction le jour où je quittai Chioggia. Je me laissai donc vaincre et persuader par Mme Aldini ; et sans résister ni m’engager davantage, je passai la nuit à ses pieds, soumis comme un enfant à ses scrupules religieux, enivré du seul bonheur de baiser ses mains et de respirer le parfum de son éventail. Ce fut une belle nuit ; les étoiles étincelantes tremblottaient dans les petites mares d’eau que la mer avait oubliées sur la palude, la brise murmurait dans les varecs verdoyans. De temps en temps nous apercevions au loin le fanal d’une gondole glissant sur les flots, et nous ne songions plus à l’appeler à notre aide. La voix de l’Adriatique brisant de l’autre côté du Lido nous arrivait monotone et majestueuse. Nous nous livrions à mille rêves enchanteurs, nous formions mille projets délicieusement puérils. La lune se coucha lentement et s’ensevelit dans les flots assombris de l’horizon, comme une chaste vierge dans un linceul. Nous étions chastes comme elle, et elle sembla nous jeter un regard protecteur avant de se plonger dans les eaux.

Mais bientôt le froid se fit sentir, et une nappe de brume blanche s’étendit sur le marais. Je fermai l’habitacle, j’enveloppai Bianca dans ma cape rouge. Je m’assis tout près d’elle, je l’entourai de mes bras pour la préserver, je réchauffai ses mains et ses bras de mon haleine. Un calme délicieux semblait être descendu dans son cœur depuis