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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/569

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LA DERNIÈRE ALDINI.

Le rouge me monta au visage, et je reçus de cet enfant la leçon qui devait le plus me dégoûter des richesses mal acquises. Je souris, et lui remettant la bague : C’est votre maman qui l’a laissé tomber de son doigt, lui dis-je, et je l’ai trouvée tout à l’heure dans la gondole.

— Je vais la lui porter, dit la petite fille en l’arrachant plutôt qu’elle ne l’accepta de ma main. Elle sortit en courant, abandonnant sa poupée par terre. Je ramassai ce jouet, afin de m’assurer d’un petit fait dont j’avais déjà fait l’observation. Alezia s’amusait à percer toutes ses poupées, à l’endroit du cœur, avec de longues épingles, et quelquefois elle restait des heures entières absorbée dans le plaisir muet et profond de ce jeu étrange.

Le soir, Mandola vint me trouver dans ma chambre. Il avait l’air gauche et embarrassé. Il avait beaucoup à me dire, mais il ne trouvait pas un mot. Sa figure était si bizarre, que je partis d’un éclat de rire. — Vous avez tort, Nello, me dit-il d’un air peiné ; je suis votre ami ; vous avez tort ! — Il voulait se retirer, je courus après lui, j’essayai de le faire s’expliquer ; ce fut impossible. Je voyais bien qu’il avait le cœur plein de sages réflexions et de bons conseils, mais l’expression lui manquait, et toutes ses phrases avortées se terminaient, dans son patois mêlé de toutes les langues, par cette sentence : E molto delica, delicatissimo.

Enfin je réussis à comprendre que le bruit s’était répandu, dans la maison, de mon prochain mariage avec la signora. Quelques mots d’impatience qu’on lui avait entendu dire à Salomé, avaient suffi pour faire naître cette opinion. La signora aurait dit textuellement en parlant de moi : — Le temps n’est pas loin où vous le servirez, au lieu de lui commander. — Je niai obstinément l’application de ces paroles, et prétendis que je n’y comprenais rien du tout. — C’est bien, me dit Mandola ; c’est ainsi que tu dois répondre, même à moi qui suis ton ami. Mais j’ai des yeux, je ne te fais pas de questions ; je ne t’en ai jamais fait, Nello ; seulement je viens t’avertir qu’il faut de la prudence. Les Aldini ne cherchent qu’un prétexte pour ôter à la signora la tutelle de la signorina Alezia, et la signora mourra de chagrin si on lui enlève sa fille.

— Que dis-tu ? m’écriai-je ; quoi ! on lui enlèverait sa fille à cause de moi !

— S’il était question de mariage, certainement, reprit l’honnête barcarole, autrement… Comme ce sont des choses qu’on ne peut jamais prouver… — Surtout quand elles n’existent pas, repris-je vivement. — Tu parles comme il faut, répondit Mandola ; continue à