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Mais approchons : examinons ces sculptures, ces tableaux surtout, que l’on y expose à la vénération des fidèles. Quoi ! c’est le fils de Dieu mourant sur la croix que cette étude d’anatomie où vous pouvez compter tous les muscles, toutes les côtes, mais où vous ne trouverez pas la trace la plus légère d’une souffrance divine, et dont les bras, tendus et dressés verticalement au-dessus de la tête, semblent, conformément au symbole janséniste, s’ouvrir à peine afin d’embrasser, dans le sacrifice expiatoire, le moins d’ames possible[1]. Quoi ! cet être tout matériel, tout humain, tout courbé sous le poids des basses conceptions du peintre, et entouré de figures aussi ignobles que la sienne, ce serait là le fils de Dieu avec les douze pêcheurs qui lui ont conquis le monde ! Quoi ! ce médecin juif qui semble demander le salaire de ses visites, c’est Jésus ressuscitant la jeune fille de Jaïr[2] ! Cet homme nu qui prêche d’un air goguenard à un auditoire de gamins de Paris, c’est le précurseur martyr annonçant la venue du Sauveur[3] ! Ces demoiselles prétentieuses, ces petites maîtresses affectées, dont le front n’a jamais réfléchi que des vanités frivoles ou des passions impures, ce sont là nos vierges-martyres, nos Catherine, nos Cécile, nos Agnès, nos Philomène ! Cette femme échevelée, effrontée, à l’œil ardent, au vêtement impudique, c’est la première des saintes, l’amie du Christ, Madeleine ! Ces autres femmes aux formes grossièrement matérielles, à la robe transparente, ce sont là les symboles de la religion et de la foi[4] ! Cette série de scènes fantasmagoriques, où je reconnais, sous des habits d’emprunt et dans des attitudes de théâtre, les figures que je rencontre chaque jour dans les rues, c’est là l’histoire de notre religion[5] ! Ces Romains en toge, ces gladiateurs nus, ces modèles complaisans de raccourci, ces déclamateurs barbus, tous taillés sur le même patron, et dont je ne puis deviner les noms qu’avec l’aide du suisse ou du bedeau, ce sont là les saints dont autrefois des attributs distincts et tous empreints d’une poésie sublime rendaient les noms chers et familiers, même aux moindres enfans ! Quoi ! enfin, cette matrone païenne, cette Junon ressuscitée, cette Vénus habillée, cette image trop fidèle d’un impur modèle, ce serait là, pour comble de profanation, la très sainte Vierge, la mère du divin amour et de la céleste pureté, l’emblème adorable qui suffit à lui seul pour creuser un abîme infranchissable entre le christianisme et toutes les religions du monde, l’idéal qui évoque sans cesse l’artiste vrai-

  1. On sait que l’on suivait l’usage contraire dans toutes les crucifixions peintes ou sculptées dans les âges chrétiens. Un exemple frappant se voit dans le magnifique bas-relief de la chaire du baptistère de Pise, où Nicolas de Pise, père de la sculpture chrétienne, a représenté notre Seigneur les bras étendus horizontalement, comme pour embrasser l’humanité tout entière dans sa rédemption.
  2. Voyez le tableau derrière le maître-autel de Saint-Roch, à droite.
  3. Voyez un tableau qui représente la prédication de saint Jean-Baptiste, dans la même église, nouvellement placé.
  4. Voyez les deux figures destinées au bénitier de la Madelaine, exposées au Salon de 1836.
  5. Voyez la plupart des fresques de Notre-Dame-de-Lorette, de celles du moins qui sont découvertes en ce moment.