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AUSONE ET SAINT PAULIN.

éloignés, ils ont passé à côté de moi comme un fleuve qui s’écoule, comme un flot qui se retire[1]. »

Ce qui est pour nous particulièrement intéressant à observer, c’est le rôle que joua Ausone dans cette opposition mondaine aux pieuses résolutions de saint Paulin. Ausone, retiré de la cour, vivait paisiblement au sein d’un repos littéraire, dans la maison de campagne qu’il possédait aux environs de Saintes. De là, il écrivait aux rhéteurs, ses amis, à Paul, à Symmaque et à Paulin. Mais Paulin, qui était en Espagne, ne répondait pas. Il n’arrivait au maître, sur son disciple, que de vagues rumeurs, de vagues plaintes ; partageant le mécontentement des autres amis de Paulin, il lui adressa quatre épîtres en vers, dont trois nous sont parvenues, pour lui reprocher son silence. Sans mettre la question précisément sur la conversion de Paulin, il cherche, par des insinuations détournées et délicates, à le dissuader de renoncer aux lettres et au monde. Il commence par lui demander s’il a été initié à des mystères, s’il a fait vœu de silence. Il le soupçonne d’avoir auprès de lui quelqu’un qui le trahit (proditor). Il désigne par là l’épouse de Paulin, Therasia, qui était pour beaucoup, par ses conseils et par son exemple, dans le nouveau genre de vie que son mari avait embrassé. Selon l’usage de la primitive église, en se vouant à Dieu, Paulin ne s’était point séparé complètement de Therasia ; il avait continué à vivre avec elle, mais dans une relation purement fraternelle. Plus tard, saint Paulin, devenu prêtre et évêque, écrivait à d’autres évêques, à saint Augustin, par exemple, en son nom et au nom de sa sœur Therasia ; et saint Augustin adressait ses réponses à l’évêque Paulin et à sa sainte sœur. Cette situation particulière, ce rapport nouveau que le christianisme seul pouvait créer, a fourni quelques inspirations gracieuses à l’imagination de ces temps. Ainsi, un auteur gaulois a mis en vers une légende dont le héros est Retice, évêque d’Autun, qui avait fait comme saint Paulin[2].

Selon cette légende touchante, quand le saint évêque fut porté à la sépulture où l’attendait sa compagne, celle-ci, au moment où l’on approcha le corps de celui qui avait été son époux et son frère, lui tendit la main en signe d’union pacifique et sainte. De nos jours, une muse chaste et sensible a tiré de cette légende la candide histoire des Amans de Clermont[3].

  1. Ep. ii, n. 3.
  2. Hist. patrum, tom. XXVII, pag. 527, et Greg. Turon., de Glor. confessorum, c. 75.
  3. Mme Tastu, Chroniques de France.