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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/634

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REVUE DES DEUX MONDES.

Foix avaient possédés. En 1793, les rapports furent interrompus entre la France et l’Andorre ; mais Napoléon les rétablit en 1806, et, comme par un effet de la prérogative qui semble miraculeusement attachée à cette vallée, lui qui ne respectait la neutralité d’aucun royaume et les droits d’aucun prince, dès que cette neutralité ou ces droits ne cadraient plus avec ses plans, il se montra très scrupuleux, pendant toute la durée de son règne, malgré la guerre d’Espagne et le voisinage de Mina, envers la neutralité de l’Andorre[1]. Aujourd’hui, les six mille habitans de cet autre Saint-Marin nous paient un tribut de 960 francs par an ; ils versent une égale somme dans la caisse du prince-évêque d’Urgel ; ainsi, en bons rapports avec la crosse et l’épée, avec les puissances temporelles et spirituelles, ils comptent que leur antique indépendance a encore un long avenir.

L’Andorre est une république qui diffère de tous les modèles qu’on nous a offerts. Cela n’est ni gai, ni animé ; cela a un faux air de Salente, c’est-à-dire d’ennui (ou plutôt Salente avait un faux air de l’Andorre) ; mais c’est tranquille, régulier, et, par momens, quelque peu solennel. Ce petit peuple de pasteurs, où il y a cependant six communes et une vingtaine de hameaux, sans compter les habitations isolées, où chaque citoyen a son fusil, où le principe du patriciat est admis, n’a jamais eu l’idée de recommencer l’histoire du Mont-Aventin, quoique ce ne soient pas les monts qui lui manquent ; à plus forte raison, n’a-t-il jamais eu ni 10 août, ni 2 septembre, ni comité de salut public, ni général Jackson. Et pourtant c’est bien une république ; l’esprit d’indépendance personnelle y subsiste pleinement. Un visiteur venu de Paris en Andorre n’en croit pas ses yeux. « Comment, se dit-il, les apôtres de la révolution, les Rousseau et les Voltaire, les Mirabeau et les Danton, ont fait retentir leur parole novatrice dans toute l’Europe et au-delà des mers ; à leur voix, comme au son des trompettes de Jéricho, tout le passé s’est écroulé autour de

  1. Il faut que l’Andorre possède un talisman qui le fait respecter des plus intraitables puissances. La république française, qui n’avait pas plus de vénération pour la neutralité des tiers que Napoléon lui-même, résista cependant à la tentation de violer celle des Andorrans.

    En 1794, la Cerdagne espagnole était occupée par un corps de troupes françaises, commandées par le général Chalret, qui résidait à Puycerda. Il voulut se porter sur la Seu-d’Urgel, et, pour faciliter la prise de ce fort, il forma le projet de faire passer des troupes par l’Andorre. Les Andorrans, prévenus à temps, furent justement alarmés ; leur conseil se réunit aussitôt, et il fut décidé qu’on enverrait deux membres en députation au général Chalret, pour lui représenter les droits de la vallée. Les envoyés plaidèrent la cause de la neutralité de l’Andorre avec tant de raison et de force, que, contre toute probabilité, ils obtinrent du général Chalret la révocation de l’ordre d’entrer sur leur territoire.