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REVUE. — CHRONIQUE.

fois, ces nations diverses de langue, d’origine et de religion, ont vu le souverain que leur a donné la fortune de la guerre. L’empereur a été heureux ; il a fait des inspections et des revues ; il a visité les établissemens militaires qu’un gouvernement militaire commence toujours par instituer en pays conquis, des casernes, des forteresses, des arsenaux. En parcourant à cheval, dans toute sa longueur, l’épine dorsale d’une des chaînes du Caucase, il a pu voir de loin et mesurer de l’œil ces vallées profondes où l’indépendance des Circassiens brave les efforts de ses armées. Mais il n’en est pas revenu découragé ni prêt à renoncer à son entreprise. Ce n’est ni dans son caractère ni dans la nature des choses, et l’on peut être certain qu’il veut maintenant plus que jamais, et qu’il veut à tout prix se rendre maître de l’étroite bande de terrain qui sépare le littoral de la mer Noire d’avec les provinces transcaucasiennes.

La population de ces vastes contrées n’est, du reste, en proportion ni avec leur superficie, ni avec leurs ressources. D’après les calculs les plus favorables, elle ne saurait être évaluée, dans les provinces entièrement soumises à la Russie, à plus de huit cent soixante-quatre mille individus mâles. Mais les progrès de la civilisation, même sous l’influence du sabre moscovite, lui ouvrent la perspective d’un immense développement. Le voyage de l’empereur n’aura pas été stérile sous ce rapport. En frappant l’imagination des peuples, il aura imprimé un vigoureux essor aux mesures d’une administration qui ne connaît guère d’obstacles, parce qu’elle ne compte jamais avec les droits, les répugnances, ou les préventions du sujet.

On n’a, jusqu’à présent, sur le voyage de l’empereur dans les provinces transcaucasiennes, que des détails semi-officiels puisés à des sources fort suspectes. Ainsi, on le savait d’avance, le prince a été accueilli partout, comme tous les princes, avec le plus vif enthousiasme, et les merveilles semblaient naître sous ses pas. Si l’empereur avait eu, parmi les officiers de sa suite, un correspondant du Times ou du Morning-Chronicle, il y aurait sans doute, d’après leurs récits, beaucoup à rabattre de ces admirations. Mais il en resterait toujours assez pour donner une grande idée de la puissance russe, de la carrière dans laquelle s’exerce son action, et des élémens qu’elle possède pour s’accroître encore. Quoiqu’elle sache faire parler d’elle, il n’en est pas moins vrai que fort souvent l’Europe ignore tous les développemens qu’elle acquiert, grace à une persévérance, à un esprit de suite, à une vigueur d’exécution qui tient à son organisation intime. Sans rien envier à la Russie, nous souhaitons, pour notre part, que la France ne perde pas son exemple de vue, et que notre gouvernement apporte, dans la belle et féconde question d’Alger, l’énergie, l’intelligence et la persistance de volonté qui ont, en moins d’un siècle, valu aux successeurs de Pierre-le-Grand l’empire de la mer Noire, de la mer d’Azof et de la mer Caspienne. N’oublions pas, nous, que celui de la Méditerranée doit nous appartenir !