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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/678

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REVUE DES DEUX MONDES.

ans, et aujourd’hui je ne vous trouve pas plus âgé que vous ne m’aviez semblé au théâtre ; seulement je vous trouve l’air malade, et je suis bien affligée d’avoir été un sujet d’irritation pour vous…

Je rapprochai involontairement mon fauteuil ; mais aussitôt mon interlocutrice reprit son ton railleur et fantasque.

— Passons à la seconde partie de votre histoire, monsieur Lélio, me dit-elle en jouant de l’éventail, et veuillez m’apprendre comment, au lieu de la fuir, vous êtes venu jusqu’ici relancer cette personne dont la vue vous est si odieuse et si funeste ?

— C’est ici que l’auteur s’embarrasse, répondis-je en reculant mon fauteuil, qui roulait très aisément au moindre mouvement de la conversation. Dirai-je que le hasard seul m’a conduit ici ? Si je le dis, votre seigneurie le croira-t-elle ? Et si je dis que ce n’est pas le hasard, votre seigneurie le souffrira-t-elle ?

— Il m’importe assez peu, dit-elle, que ce soit le hasard ou l’attraction magnétique, comme vous diriez peut-être, qui vous amène dans ce pays ; je désire seulement savoir quel est le hasard qui vous a fait devenir accordeur de piano.

— Le hasard de l’inspiration, signora ; le premier prétexte m’était bon pour m’introduire ici.

— Mais pourquoi vous introduire ici ?

— Je répondrai sincèrement, si votre seigneurie daigne me dire auparavant quel est le hasard qui l’a déterminée à m’y laisser pénétrer, bien qu’elle m’eût reconnu au premier coup d’œil ?

— Le hasard de la fantaisie, seigneur Lélio. Je m’ennuyais en tête-à-tête avec mon cousin, ou avec une vieille tante dévote, que je connais à peine ; et tandis que l’un est à la chasse et l’autre à l’église, j’ai pensé que je pourrais égayer par une folie la maussade solitude où on me laisse languir.

Mon fauteuil se rapprocha de lui-même, et j’hésitai à prendre la main de la signora. Elle me paraissait effrontée en cet instant. Il y a des jeunes filles qui naissent femmes, et qui sont corrompues avant d’avoir perdu leur innocence. Celle-ci est bien un enfant, pensais-je, mais un enfant ennuyé de l’être, et je serais un grand sot de ne pas répondre à des agaceries faites avec tant de sang-froid et de hardiesse. Ma foi, tant pis pour le cousin ! Pourquoi aime-t-il la chasse plus que sa cousine ?…

Mais la signora ne fit aucune attention à l’agitation qui s’emparait de moi, et elle ajouta : — Maintenant, la farce est jouée ; nous avons mangé le gibier de mon cousin, et j’ai parlé avec un acteur. Voilà