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LA DERNIÈRE ALDINI.

ma tante et mon prétendu mystifiés. La semaine dernière, mon cousin était furieux, parce que, selon lui, je faisais votre éloge avec trop d’enthousiasme. Maintenant, quand il me parlera de vous, et quand ma tante dira que les acteurs sont tous excommuniés en France, je baisserai les yeux d’un petit air modeste et béat, et je rirai en moi-même de penser que je connais le seigneur Lélio, et que j’ai déjeuné avec lui, ici même, sans que personne s’en doute ; mais maintenant il vous reste, monsieur Lélio, à me dire pourquoi vous avez voulu vous introduire ici à l’aide d’un faux rôle.

— Pardon, signora… vous avez dit un mot qui me frappe beaucoup… Vous avez fait la semaine dernière mon éloge avec enthousiasme ?

— Oh ! c’était uniquement pour faire enrager mon cousin. Je ne suis point enthousiaste de ma nature.

Lorsqu’elle me raillait, je reprenais goût à l’aventure et j’étais prêt à m’enhardir. — Puisque vous êtes si sincère envers moi, répondis-je, je ne le serai pas moins envers votre seigneurie. Je me suis introduit ici avec l’intention de réparer mon crime et de demander humblement pardon à la beauté divine que j’ai blasphémée.

En même temps je me laissai glisser de mon fauteuil, et je me trouvai aux genoux de la Grimani bien près de m’emparer de ses belles mains. Elle ne parut pas s’en émouvoir beaucoup ; seulement je vis que, pour dissimuler un peu d’embarras, elle feignait d’examiner attentivement les mandarins chinois dont les robes d’or et de pourpre chatoyaient sur son éventail. — Oh ! mon dieu ! monsieur, me dit-elle sans me regarder, vous êtes bien bon de croire que vous ayez à me demander pardon. D’abord, si j’ai l’air stupide, vous n’êtes pas du tout coupable de vous en être aperçu ; en second lieu, si je ne l’ai pas, il m’est absolument indifférent que vous vous le persuadiez.

— Je jure par tous les dieux, et par Apollon en particulier, que je n’ai parlé ainsi que par colère, par folie, par un autre sentiment peut-être, qui alors ne faisait que de naître et troublait déjà mon esprit. Je voyais que vous me trouviez détestable, et que vous n’aviez pour moi aucune indulgence ; pouvais-je me résigner à perdre le seul suffrage qu’il m’eût été doux et glorieux de conquérir ? Enfin, signora, je suis ici, j’ai découvert votre demeure, et, sachant à peine votre nom, je vous ai cherchée, poursuivie, atteinte, malgré la distance et les obstacles ; me voici à vos pieds. Pensez-vous que j’aurais surmonté de telles difficultés si je n’avais été tourmenté de remords, non à cause de vous qui dédaignez avec raison l’effet de vos charmes sur