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un pauvre histrion comme moi, mais à cause de Dieu dont j’ai outragé et dont j’ai méconnu le plus bel œuvre.

Je me hasardai en parlant ainsi à prendre une de ses mains, mais elle se leva brusquement, en disant : Levez-vous, monsieur, levez-vous, voici mon cousin qui revient de la chasse.

En effet, à peine avais-je eu le temps de courir au piano et de l’ouvrir, que le signor Ettore Grimani, en costume de chasse et le fusil à la main, entra et vint déposer aux pieds de sa cousine son carnier plein de gibier.

— Oh ! ne vous approchez pas tant de moi, lui dit la signora, vous êtes horriblement crotté, et toutes ces bêtes ensanglantées me dégoûtent. Ah ! Hector, je vous en prie, allez-vous-en, et emmenez tous ces grands vilains chiens qui sentent la vase et qui salissent le parquet.

Force fut au cousin de se contenter de cet élan de reconnaissance et d’aller se parfumer à loisir dans sa chambre. Mais à peine était-il sorti de l’appartement, qu’une sorte de duègne entra, et annonça à la signora que sa tante venait de rentrer et la priait de se rendre auprès d’elle.

— J’y vais, répondit la Grimani ; et vous, monsieur, dit-elle, en se retournant vers moi, puisque cette touche est recassée, veuillez l’emporter et la recoller solidement. Il faudra la rapporter demain et achever de replacer les cordes qui manquent. N’est-ce pas, monsieur ? On peut compter sur votre parole ? Vous serez exact ?

— Oui, signora, vous pouvez y compter, répondis-je, et je me retirai, emportant la touche d’ivoire qui n’était pas cassée.

Je fus exact au rendez-vous. Mais ne pensez point, mes chers amis, que je fusse amoureux de cette petite personne ; c’est tout au plus si elle me plaisait. Elle était extrêmement belle ; mais je voyais sa beauté par les yeux du corps, je ne la sentais pas par ceux de l’ame ; si par instans je me prenais à aimer cette pétulance enfantine, bientôt après je retombais dans mes doutes et me disais qu’elle pouvait bien m’avoir menti, elle qui mentait à son cousin et à sa gouvernante avec tant d’aplomb ; qu’elle avait peut-être bien une vingtaine d’années, comme je l’avais cru d’abord, et que peut-être aussi elle avait fait déjà plusieurs escapades pour lesquelles on la tenait séquestrée dans ce triste château, sans autre société que celle d’une vieille dévote destinée à la gourmander, et d’un excellent cousin prédestiné à endosser innocemment ses erreurs passées, présentes et futures.

Je la trouvai au salon avec ce cher cousin et trois ou quatre grands chiens de chasse, qui faillirent me dévorer. La signora, éminemment