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de muletiers, etc. » Je partis une heure après, et à la pointe du jour j’arrivai à San-Giovanni. — Comment se fait-il que tu sois seule ? lui dis-je en essayant de me débarrasser de ses grands bras et de ses fraternelles accolades, insupportables pour moi depuis ma maladie, à cause des parfums dont elle faisait un usage immodéré, soit qu’elle crût ainsi imiter les grandes dames, soit qu’elle aimât de passion tout ce qui flatte les sens. — Je me suis brouillée avec Nasi, me dit-elle ; je l’ai planté là, et je ne veux plus entendre parler de lui ! — Ce n’est pas très sérieux, repris-je, puisque pour le fuir tu vas t’installer chez lui. — C’est très sérieux, au contraire, car je lui ai défendu de me suivre. — Et c’est pour lui en ôter les moyens, apparemment, que tu prends sa voiture pour te sauver, et que tu la brises en chemin ? — C’est sa faute ; il fallait bien presser les postillons ; pourquoi a-t-il la mauvaise habitude de courir après moi ? J’aurais voulu me tuer en versant, et qu’il arrivât pour me voir expirer, et pour apprendre ce que c’est que de contrarier une femme comme moi. — C’est-à-dire une folle ; mais tu n’auras pas le plaisir de mourir pour te venger, puisque d’une part tu ne t’es pas fait de mal, et que de l’autre il n’a pas couru après toi. — Oh ! il aura passé ici cette nuit sans se douter que j’y suis, et tu l’auras croisé en venant. Nous allons le trouver à Cafaggiolo. — Il est assez insensé pour cela. — Si j’en étais sûre, je voudrais rester ici huit jours cachée, afin de l’inquiéter, et de lui faire croire que je suis partie pour la France, comme je l’en ai menacé. — À ton plaisir, ma belle ; je te salue et te laisse ma voiture. Quant à moi, j’ai peu de goût pour ce pays et pour cette auberge. — Si tu n’étais pas un sot, tu me vengerais, Lélio ! — Merci ! je ne suis pas offensé ; tu ne l’es pas davantage peut-être ? — Oh ! je le suis mortellement, Lélio ! — Il aura refusé de te donner pour vingt-cinq mille francs de gants blancs, et il aura voulu te donner cinquante mille de diamans ; quelque chose comme cela, sans doute ? — Non, non, Lélio, il a voulu se marier ! — Pourvu que ce ne soit pas avec toi, c’est une envie très pardonnable. — Et ce qu’il y a de plus affreux, c’est qu’il s’était imaginé me faire consentir à son mariage, et conserver mes bonnes grâces. Après une pareille insulte, crois-tu qu’il ait eu l’audace de venir m’offrir un million, à condition que je le laisserais se marier, et que je lui resterais fidèle ! — Un million ! diable ! Voilà bien le quarantième million que je te vois refuser, ma pauvre Checchina. Il y aurait de quoi entretenir une famille royale avec les millions que tu as méprisés ! — Tu plaisantes toujours, Lélio. Un jour viendra où tu verras que, si j’avais voulu, j’aurais pu être reine