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LA DERNIÈRE ALDINI.

tout comme une autre. Les sœurs de Napoléon sont-elles donc plus belles que moi ? ont-elles plus de talent, plus d’esprit, plus d’énergie ? Ah ! que je m’entendrais bien à tenir un royaume ! — À peu près comme à tenir des livres en partie double dans un comptoir de commerce. Allons ! tu as mis ta robe de chambre à l’envers, et tu essuies les pleurs de tes beaux yeux avec un de tes bas de soie. Fais trêve pour quelques instans à ces rêves d’ambition ; habille-toi, et partons.

Tout en regagnant la villa de Cafaggiolo, et en laissant ma compagne de voyage donner un libre cours à ses déclamations héroïques, à ses divagations et à ses hâbleries, j’arrivai, non sans peine, à savoir que le bon Nasi avait été fasciné dans un bal par une belle personne, et l’avait demandée en mariage ; qu’il était venu signifier sa résolution à la Checchina ; que celle-ci, ayant pris le parti de s’évanouir et d’avoir des convulsions, il avait été tellement épouvanté par la violence de son désespoir, qu’il l’avait suppliée d’accepter un terme moyen, et de rester sa maîtresse, malgré le mariage. Alors la Checchina, le voyant faiblir, avait orgueilleusement refusé de partager le cœur et la bourse de son amant. Elle avait demandé des chevaux de poste, et signé ou feint de signer un engagement avec l’Opéra de Paris. Le débonnaire Nasi n’avait pu supporter l’idée de perdre une femme qu’il n’était pas sûr de ne plus adorer, pour une femme que peut-être il n’adorait pas encore. Il avait demandé pardon à la cantatrice ; il avait retiré sa demande, et cessé ses démarches de mariage auprès de l’illustre beauté dont la Checchina ignorait le nom. Checchina s’était laissé attendrir ; mais elle avait appris indirectement, le lendemain de ce grand sacrifice, que Nasi n’avait pas eu grand mérite à le faire, puisqu’il venait, entre la scène de fureur et la scène de raccommodement, d’être débouté de sa demande de mariage, et dédaigné pour un heureux rival. La Checchina, outrée, était partie, laissant au comte une lettre foudroyante, dans laquelle elle lui déclarait qu’elle ne le reverrait jamais ; et prenant la route de France, car tout chemin mène à Paris aussi bien qu’à Rome, elle courait attendre à Cafaggiolo que son amant la poursuivît, et vînt mettre son corps en travers du chemin pour l’empêcher de pousser plus avant une vengeance dont elle commençait à s’ennuyer un peu.

Tout cela n’était pas, dans le cerveau de la Checchina, à l’état de calcul étroit et d’intrigue cupide. Elle aimait l’opulence, il est vrai, et ne pouvait s’en passer ; mais elle avait tant de foi en sa destinée et tant d’audace dans le caractère, qu’elle risquait à chaque instant la