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POÈTES ET ROMANCIERS DU NORD.

soir sur la colline. Tous deux sentent qu’ils s’aiment avant de se l’être dit ; mais bientôt le mot solennel s’échappe de leurs cœurs, leurs regards se rencontrent, leurs lèvres se touchent, et désormais ils savent qu’ils s’aimeront toujours. Axel se souvient qu’il a une mission à remplir, qu’il est lié par un serment. Il veut s’acquitter de son devoir, et obtenir du roi la permission d’épouser la jeune fille. Il part. Il arrive en Suède, et, pendant ce temps, Marie reste seule, livrée aux regrets de son amour, aux vagues agitations que lui donne l’incertitude de son sort. Le départ subit d’Axel, le serment mystérieux dont il a parlé, jettent dans son âme un doute horrible. Peut-être Axel en aime-t-il une autre ! peut-être est-il allé la revoir ! Du moment où cette fatale pensée s’empare d’elle, c’en est fait de sa foi de jeune fille, c’en est fait de son repos. Elle ne peut attendre le temps où Axel a promis de revenir. Elle veut partir aussi, elle veut s’assurer elle-même qu’elle n’est pas trompée. Elle prend un vêtement de soldat, se mêle aux cohortes russes qui vont tenter une expédition dans le royaume de Charles XII, et arrive sur la terre de Suède. Là, un combat s’engage. Axel est à la tête d’une troupe de vieillards, d’enfans, qui ont pris les armes en toute hâte pour repousser l’invasion. Il s’élance au milieu des rangs ennemis, et jonche la terre de morts et de blessés. Les Russes se retirent en désordre. La nuit, Axel passe sur le champ de bataille, il entend une voix plaintive qui l’appelle : c’est Marie qui expire.

Il enterre le corps de sa bien-aimée, puis le désespoir le saisit. Il erre autour de ce tombeau qu’il a lui-même creusé, et les champs où il s’égare entendent nuit et jour ses plaintes. Nulle main humaine ne pouvait lui donner la force de supporter son infortune. « Un jour on le trouva assis sur le rivage, les mains jointes comme s’il venait de prier. Des larmes cristallisées par le vent du matin brillaient sur sa joue, et son regard éteint semblait encore chercher le tombeau de celle qu’il avait aimée. « 

Le chef-d’œuvre de Tegner est sa Frithiofs saga. Dans aucun de ses poèmes, il n’a mis plus de sève, plus de fraîcheur d’idées, plus d’images vraies et gracieuses. Dans aucun de ses poèmes, son style n’a été plus flexible et plus harmonieux. C’est un vrai charme que de voir cette belle langue suédoise, cette langue mâle et sonore, assouplie à la volonté d’un vrai poète. Quand une fois il commence un de ses chants, on dirait qu’il tient entre les mains la harpe de chêne des anciens scaldes, et cette langue qu’il maîtrise, qu’il tourne