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à son gré, résonne sous sa main nerveuse comme une corde d’airain, ou soupire comme une voix de jeune fille.

Le poème se compose d’une série de chants lyriques de différentes mesures qui se tiennent l’un à l’autre, comme les anneaux d’une même chaîne, et forment un cycle épique. C’est une des chroniques les plus romanesques et les plus touchantes qui nous aient été conservées dans les traditions du Nord. C’est, on peut le dire, un tableau du Nord entier, avec sa vie de pirate, ses assemblées populaires et son culte païen. Tegner a composé cet ouvrage d’après la saga islandaise. Mais avec quelle élévation de talent il a développé le thème qu’il s’était choisi ! avec quelle grâce il a jeté sur ce canevas brut ses arabesques d’artiste, ses fleurs de poésie ! J’ai analysé dans une autre occasion la saga islandaise[1] ; qu’on me permette d’analyser aussi l’œuvre de Tegner.

Deux enfans sont élevés ensemble chez un de ces vieillards sages comme on en cite souvent dans les traditions Scandinaves. L’un est Ingeborg, la fille du roi Bele ; l’autre est Frithiof, le fils unique du riche paysan Thorsten. Ingeborg est une vraie fleur du Nord, blonde et pâle, douce et résignée, pareille à un de ces lis qui ouvrent leur calice à tous les rayons du soleil, et se courbent sous tous les vents. Frithiof est la plante vigoureuse qui doit grandir comme un chêne et braver la tempête. Tout jeune, il guide déjà sa barque à travers les fleuves écumans, il s’élance au-dessus des rochers pour atteindre le nid de l’aigle ou du vautour. Tout jeune, il aime Ingeborg. Il la conduit à travers les bois et les montagnes, il la porte sur ses épaules au-delà des torrens, il la protège comme un frère, et Ingeborg s’abandonne à lui avec amour et confiance.

Le roi Bele meurt et partage son royaume entre ses deux fils, en leur recommandant d’aimer Frithiof. Thorsten meurt en même temps que le vieux roi, dont il a été l’ami fidèle, le compagnon d’armes. Frithiof hérite de tous ses biens. Il demande à épouser Ingeborg ; mais les deux jeunes rois, Helge et Halfdan, lui répondent avec dérision qu’ils ne donneront pas leur sœur à un fils de paysan, et Frithiof se retire dans sa demeure, bien résolu de rompre à tout jamais avec eux. Quelque temps après, Helge et Halfdan sont attaqués par un ennemi redoutable. Ils implorent le secours de Frithiof, mais il le leur refuse. Les deux frères se mettent en marche avec leur

  1. Lettres sur l’Islande.