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rien dire, mais cependant pleurant beaucoup ; il fallait avoir le don des larmes. Il oublia néanmoins, et le sénat aussi, qu’il avait écrit de Misène pour faire accorder les honneurs divins à son prédécesseur ; il n’en fut pas question autrement. Tibère était à peine enterré, qu’il s’agit de casser son testament ; tout redoutable qu’ait pu être un prince, il se trouve toujours quelque sénat, parlement ou assemblée, pour casser son testament avant que sa cendre ne soit refroidie. Le sénat, si humble et si nul sous Tibère, devenait tout puissant pour le seul fait de rompre ses dernières volontés. Il s’agissait d’exclure le jeune Tibère, que son aïeul avait associé à l’empire. Cela se fit avec grande joie, au milieu du sénat, des chevaliers, du peuple, car tout le monde avait forcé les portes de la curie ; Caïus fut déclaré seul souverain, maître absolu.

Rien ne portait à la modestie comme cette déclaration. Caïus, ainsi que ses prédécesseurs, fut pris tout d’abord d’une rage de modération et d’humilité ; il fit un discours tout populaire, ne voulut point de titres souverains, rendit leurs droits aux exilés, brûla les archives criminelles de Tibère, qui pouvaient donner lieu en sens contraire à bien des accusations, en jurant qu’il n’en avait rien lu ni parcouru (on dit du reste qu’il n’en brûlait qu’une copie), permit de lire les écrits que Tibère avait fait détruire, rendit des comptes publics, ce qui n’avait pas été fait depuis Auguste ; voulut même restituer au peuple les beaux droits dont le peuple ne voulait plus et qu’il fallut lui reprendre, les droits d’élection. Il y a même de lui un beau mot ; on lui apporta une dénonciation contre de prétendus conspirateurs qui en voulaient à sa vie : « Je n’ai rien fait, dit-il, qui ait pu me rendre odieux à personne. »

Il y eut en vérité un moment où le monde respira. Un écrivain qui n’habitait point Rome, ce centre de toute passion et de tout mensonge, décrit ce bonheur comme il eût décrit l’âge d’or. « Les Grecs n’avaient point de querelles avec les Barbares, les soldats avec les citoyens. On ne pouvait assez admirer l’incroyable félicité de ce jeune prince ; il avait d’immenses richesses, de très grandes forces de terre et de mer, de prodigieux revenus qui lui arrivaient de tous les coins du monde ; son empire n’avait pour bornes que le Rhin et l’Euphrate, au-delà desquels ne sont que des peuples sauvages, — les Scythes, les Parthes, les Germains. — Ainsi depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher, sur le continent et dans les îles, au-delà même de la mer, tout était dans la joie. L’Italie et Rome, l’Europe et l’Asie, étaient comme en une fête perpétuelle, car sous aucun