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écolier comme lui, pria, pleura, et Caïus, tout ému d’un si manifeste triomphe, lui pardonna et le fit consul.

Ce n’était rien encore que ces triomphes, d’autres les avaient remportés avant lui, n’y avait-il donc pas quelque chose que la vénération des dieux eût réservé au seul Caïus, à Caïus, le roi des rois, le maître de l’univers, le dieu ? Chanter au théâtre, lutter sur l’arène, triompher au sénat par la parole ! tout cela était humain et possible, la passion de Caïus était pour l’impossible et le surhumain. Ce fut toujours, du reste, la folie impériale ; en contemplant le monde du haut de ce pic gigantesque où ils étaient placés, les Césars avaient dû le voir tout autre que nous ne le voyons, et, mesurant toutes choses à leur grandeur, ils les trouvaient petites et mesquines ; chez eux, la manie du grandiose, innée dans les Romains, devint une rage pour l’impossible. Néron s’adressa à la magie pour la satisfaire, Caïus à la force ; l’un plus instruit, plus artiste, plus curieux ; l’autre affectant davantage l’énergie, la puissance, la virilité.

S’il voulait une villa, il la lui fallait en pleine mer, sur une digue jetée là où les eaux étaient plus profondes et plus orageuses, là où la pierre des rochers cédait aux pics avec plus de peine ; il la lui fallait sur une cime de montagne nivelée par des déblaiemens, sur une vallée exhaussée au niveau des montagnes ; tout cela se faisait avec une vitesse incroyable, la paresse était punie de mort. Dans ses bains, c’étaient des parfums précieux ; à ses repas, des mets étranges et inouis ; le bain, le souper, tout le faste de la vie romaine, il en avait merveilleusement perfectionné la folie. « Il faut être économe, disait-il, quand on n’est pas César ! » Il buvait des perles dissoutes dans du vinaigre, faisait servir à ses convives des pains et des mets en or : il avait fait faire des navires immenses dont la carcasse était en cèdre, la poupe couverte de pierres précieuses, les voiles de couleurs brillantes ; sur ces palais flottans, il avait des thermes, des salles de festin, des portiques, il avait de la vigne pendante sur sa tête, des arbres qui se balançaient avec leurs fruits. Au milieu de ces délices, il passait des jours à se faire porter le long des côtes de Campanie, au son des instrumens, au bruit des chœurs, jouissant à la fois de la terre et de la mer, comme il était maître de l’une et de l’autre. — Mais qu’est-ce que tout cela ? il y a mieux encore, élever une ville au sommet des Alpes, — percer l’isthme de Corinthe, — c’est se séparer encore plus de la pauvre humanité, c’est vaincre les dieux. Caïus le fera, Caïus l’aurait fait, si par bonheur on lui en eût laissé le temps.