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nèque, près de 2,000,000 avaient passé ; en un an les 523,000,000 de Tibère avaient disparu. Caïus se sentait homme par ce côté-là, il n’était pas assez riche.

Les proscriptions redoublèrent d’ardeur. C’était sa grande ressource, le bourreau et le suicide par ordre donnaient au fisc son meilleur revenu. Après avoir fait mourir Junius Priscus qu’il croyait riche et qui ne l’était pas : « Il m’a trompé, disait-il, il méritait de vivre. »

Un jour, en Gaule, il perdait au jeu, et n’avait pas d’argent : il n’en eut pas plus de peine à payer. Il fit apporter le registre des contributions et abattit la tête des plus imposés. « Gagnez-moi maintenant quelques sesterces, dit-il aux joueurs, je viens de gagner des millions ! »

À Rome, il trouva de nouveaux prétextes pour condamner. Il se souvint de la persécution dirigée par Séjan contre sa famille, que sous Tibère il avait si héroïquement supportée, qu’à son avènement il avait si noblement renoncé à venger en brûlant les archives de Tibère. Dans sa tête ou dans son secrétaire, il retrouva la copie des fameuses archives ; il sut au moins, ou se souvenir, ou deviner qui avait dénoncé, qui avait poursuivi, qui avait condamné sa mère ou ses frères ; ce fut un large prétexte pour sa cruauté. Une autre fois il songea, pendant une nuit sans sommeil, à la félicité de ceux qu’il avait bannis. « Je les ai condamnés, et ils vivent, ils boivent, ils mangent, ils sont libres. Qu’est-ce que leur exil ? un voyage ! » Il les fit tous tuer. On explique d’une autre manière cette boucherie. À un homme qui avait été banni sous Tibère, il demandait : « Que faisiez-vous dans votre exil ? — Seigneur, dit le courtisan, je passais ma vie à demander aux dieux la mort de Tibère et votre avènement. » Cela fit réfléchir Caïus : Ceux que j’ai bannis, pensa-t-il, passent donc aussi leur temps à souhaiter ma mort ; et pour détourner l’effet de leurs vœux, il les fit mourir.

Mais les confiscations elles-mêmes ne suffisaient pas au trésor. Caïus avait l’esprit fécond en ressources ; il en trouva une entre autres qui était bien romaine. On sait quelle place occupaient, dans les mœurs de cette nation, le droit de testament, la chasse aux successions, la captation des vieillards. Il y a même encore trace de ces mœurs dans nos provinces de droit écrit, dans le midi de la France, plus romain que le nord. Tibère avait déjà donné l’exemple, Caïus entra après lui dans une voie que leurs successeurs ne manquèrent pas de suivre. L’empereur se mit à courir les héritages, captateur dangereux qui ne s’amusait pas à dorloter les vieillards, mais qui se