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empereur à eux seuls et malgré le sénat ; ils voulaient que ce fut leur empereur à eux, et n’aimaient pas ces tardifs courtisans de leur victoire.

Tout marcha donc de bon accord : Claude entra dans Rome, décoré selon l’usage, par le sénat, de tous les titres impériaux, refusant, selon l’usage, ceux qui lui parurent trop magnifiques. Il ordonna oubli de tout ce qui s’était passé durant ces deux jours, et lui-même, bon homme qu’il était, l’oublia. Chœrea, presque seul, fut jeté comme une victime aux mânes peu considérés de Caïus. Sabinus se tua. Chœrea, conduit au supplice, trouva l’épée du soldat trop peu tranchante, demanda celle dont il avait frappé Caïus, et mourut en hardi républicain. Ce courage, un reste d’idées antiques, toucha le peuple ; quand vint le jour des libations pour les morts, il ordonna qu’on en fît publiquement pour Chœrea, et, ce qui est plus étrange, demanda aux mânes de ce vieux tribun, pardon de sa propre ingratitude.

Voilà comment échoua cette tentative de révolution. En racontant la vie et la fin de Caïus, je n’ai guère pu que rappeler les faits ; ils sont si étranges, si loin de nous, ils sont devenus si impossibles, qu’en vérité on ne saurait trop quelle réflexion y ajouter. Nous prenons toujours, malgré nous, notre point de départ de ce qui nous touche, de notre temps, de nos mœurs, de notre pays, quel rapprochement est possible entre ce temps-là et le nôtre ? Tibère qui, lui, avait un système, nous a rappelé le comité de salut public ; où trouver, si ce n’est à Charenton, un analogue à Caligula ? Toute philosophie en histoire travaille, quoi qu’elle en dise, les yeux fixés sur son propre siècle ; le présent est pour elle le grand résultat du passé. Ici, entre le présent et le passé quel rapport établir ? Quand des faits sont hors de notre sphère, impossibles, quoique certains, on les raconte, on ne les juge pas.

Quelques bienveillans historiens ont eu la charité de nous expliquer cette époque et cet homme, de chercher des causes profondes à ce que je me permets, superficiel que je suis, d’attribuer à la pure et complète folie, à la folie de Charenton ; de découvrir dans Caïus des vues, une pensée, des intentions politiques : en faisant son cheval consul, il avait ses desseins. Je m’avoue incapable de pénétrer à une telle profondeur ; tant d’incohérence, de contradiction, de décousu, (pardonnez-moi) de désultoire dans la vie de cet homme, ne me laisse guère comprendre de système chez lui. L’absence de toute unité dans cette conduite et dans cette tête, cette fanfaronnade et