Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/771

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
767
LES CÉSARS.

plus grande dans l’histoire, ou, pour mieux parler, la seule, certainement unique dans le passé, certainement unique dans l’avenir. Sous Caïus, cette réforme était pourtant commencée ; ceux qui l’entreprenaient ne faisaient pas, il est vrai, parler d’eux, ils n’avaient pas débuté par un coup d’éclat comme Luther, ni par quelque livre emphatique comme Rousseau : c’étaient des Grecs ou des Juifs, pauvres, affranchis, en bonne partie esclaves, se réunissant dans des greniers à la lueur de quelques mauvaises lampes ; peu civilisés, puisqu’ils parlaient un latin barbare ou un grec impur, vêtus de pauvres tuniques, et faisant en commun de maigres repas ; point encore persécutés, parce qu’ils n’étaient pas connus, et à qui l’histoire, avant le temps de Néron, n’accorde que cette fautive et dédaigneuse mention : « Claude chassa les Juifs qui, excités par Christ, causaient à Rome des troubles perpétuels. »

Le reste du monde, cependant, supportait, sans entrevoir rien de meilleur, ou du moins sans rien attendre que du caprice d’un homme, le règne de tous ces Claudius, métamorphosés en Césars, race dégénérée, chez qui la dureté sabine des anciens Appius était devenue un amour effréné du sang ; — le règne de Tibère, de Caligula, de Claude, de Néron. Ce monde, pourtant, était le dernier résultat de la civilisation antique : le génie des nations primitives, l’esprit des Grecs, la politique des Romains, n’avaient si long-temps élaboré la société que pour en venir à ce progrès suprême ; c’était là ce qu’avait produit l’unité sociale des pays civilisés, ce but si désiré des philosophes, si laborieusement atteint par la politique. L’humanité avait par devers elle le fruit des travaux des plus grandes et des plus belles intelligences : dans l’ordre social, les conquêtes vivifiantes d’un Alexandre et d’un César ; dans l’ordre intellectuel, les inspirations d’un Pythagore, d’un Socrate et d’un Platon. L’empire avait à sa disposition (admirables instrumens de la pensée) les deux langues qui avaient triomphé, l’une de l’Occident, l’autre de l’Orient ; les orateurs parlaient grec dans les Gaules, comme les préteurs parlaient latin à Antioche : la Grèce et Rome, en venant se réunir, avaient amené chacune son côté du monde avec elle. La plus belle poésie, — un Virgile et un Homère, — était enseignée d’un bout du monde à l’autre ; l’art était arrivé à sa perfection.

Ces gens-là étaient de plus des gens civilisés, ou du moins ce que nous appelons ainsi. La civilisation, il est vrai, ne s’étendait pas à tous ; il faut toujours, quand on parle de l’antiquité, mettre à part les esclaves. Mais quant au reste, je me permets de croire que malgré tout