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PENSÉES D’AOÛT.

prend que la pratique du bien est aussi féconde en joies que les triomphes de la tribune ou les applaudissemens du théâtre ; chaque soir, pour mieux s’affermir dans sa résolution, pour se mieux démontrer qu’il doit renoncer à la poésie, à l’éloquence, il relit Lamartine et Montesquieu, et il complète sa vie laborieuse et ignorée par le commerce familier des intelligences parmi lesquelles il avait sa place marquée. Le monde ne connaîtra pas Maréze, mais la vertu se suffit et n’a pas besoin de témoins. Maréze a réglé sa vie ; il se rend témoignage et il s’applaudit de son renoncement.

Doudun, pour soutenir sa vieille mère infirme, a engagé son avenir ; le travail de chaque jour ne suffisait pas à la tâche qu’il s’était imposée, il a enfoui dans les dernières années de sa mère toutes les heures qu’il pourra vivre encore. Il lui faudra pour se libérer, pour obtenir quittance de ses créanciers, travailler courageusement et long-temps après que sa mère ne sera plus. Mais le souvenir vivant du bonheur qu’il lui aura donné le soutiendra jusqu’au bout dans cette dure épreuve ; pas un murmure ne s’échappera de sa bouche, pas une plainte ne s’élèvera dans son cœur. L’image toujours présente de sa mère, qui s’est endormie en le bénissant, éclaire, égaie et ranime chacune de ses journées. Doudun est heureux comme Maréze.

Ramon de Santa-Cruz, après avoir épuisé l’ivresse des voyages et des passions, abandonné de sa femme qu’il a méconnue et froissée, poursuivi par le regret de son unique enfant que sa femme a su lui dérober, seul avec sa mère, trouve, comme Maréze et Doudun, dans son dévouement de chaque jour, une récompense inespérée. Dans la lutte assidue qu’il soutient contre la pauvreté, il double ses forces et ranime son ardeur ; et sa vie, quoique ignorée, est complète et harmonieuse. Si quelquefois la pompe du spectacle que ses yeux ne voient plus, la tendresse de sa femme et les caresses de son enfant lui reviennent en mémoire, et voilent son regard d’un nuage, il se console dans la contemplation du sacrifice qu’il accomplit, et il retrouve sa première sérénité.

Aubignié était né pour le laurier du poète. Il comprenait les hommes et les lieux, les monumens et les livres, il renouait la chaîne des temps par une intuition toute puissante ; mais il n’a pas voulu, ou plutôt il a laissé passer l’heure de vouloir. Il s’est raconté à lui-même, en présence des glaciers de la Suisse, sur les bords du Rhin, à l’ombre des forêts séculaires, des poèmes sans fin et sans nombre ; mais il n’a pas écrit une seule de ses pensées ; il n’a pas soumis au