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Il essaie de semer dans les jeunes âmes qui lui sont confiées un grain meilleur et qui promette une plus riche moisson. Il ne réussit pas au gré de ses souhaits ; mais s’il n’abolit pas le mal, du moins il le diminue ; s’il ne fonde pas sur les ruines de l’égoïsme et de la cupidité le dévouement et la piété qu’il avait rêvés, du moins il fouille, il renouvelle le sol, et plus tard une charrue plus heureuse et plus puissante obtiendra ce qu’il n’a pas obtenu. Les sillons, qui aujourd’hui livrent au vent la semence infidèle, plus profonds et plus sûrs, les garderont quand il ne sera plus, et combleront l’espoir du laboureur qui lui succédera. C’est pourquoi M. Jean ne perd pas courage. Loin de là ; il trouve dans sa tâche de chaque jour un bonheur sans cesse renaissant. Il est payé de ses soins par la docilité, par la ferveur de ses jeunes ouailles ; et en comptant les heures qui se dérobent et qui le rapprochent du terme de son pélerinage, il jette un regard de pitié sur les passions qu’il n’a pas connues ; il compare la paix dont il jouit aux ambitions tumultueuses, et il s’applaudit de son obscurité. Enfin, quand il sent venir l’heure suprême, quand il comprend que Dieu va le rappeler, et qu’il n’a plus qu’un petit nombre de jours à passer sur la terre, il réunit tous les enfans de son école et il les conduit à Ermenonville. Il part de l’école avec sa jeune famille, et avant de parcourir ces lieux consacrés par le souvenir de son père, il réunit dans l’église toute la ruche bourdonnante dont le sort lui est confié. La messe entendue, après avoir prié pour l’ame de Jean-Jacques, il parcourt lentement au milieu de son joyeux cortége, toutes les allées où Jean-Jacques a rêvé ses pages les plus tendres ; il s’interroge, il se demande s’il a bien accompli la volonté divine. Et comme les enfans veulent savoir où est le maître de ce beau jardin, il leur répond que le maître est absent ; puis, sa pensée tournant à la parabole, il ajoute que Dieu, maître absolu de toute chose et de toute créature, quoique invisible, est toujours présent, et qu’il épie d’un œil vigilant les actions bonnes et mauvaises. Il nous voit et nous ne le voyons pas. Bientôt je vous quitterai, leur dit-il, mais, quoique absent, j’aurai les yeux sur vous. Songez donc à vous montrer dignes de votre maître, car partout et toujours vous serez sous l’œil de Dieu. Et quelques jours après avoir prononcé cette pieuse parabole, M. Jean s’éteint doucement en bénissant l’épreuve qu’il a courageusement accomplie.

On voit que, dans Monsieur Jean, la poésie découle de la réalité par une pente presque insensible. L’application de ce procédé, quoique très simple en apparence, offre pourtant de nombreuses diffi-