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valeur des sons aigus et des sons graves, des tons sombres et des tons éclatans ; ils ne tiendraient compte que de l’habile emploi des sons et des couleurs. M. Sainte-Beuve, pour démontrer sa pensée, a choisi une comparaison plus détournée, mais non moins heureuse ; il s’est souvenu d’une tradition égyptienne, d’un puits creusé sous une pyramide, et dont la profondeur égale la hauteur du monument qui le recouvre. Si la pyramide était détruite, si ce puits était rendu à la lumière, l’homme placé au fond du puits, verrait toutes les merveilles des cieux ; n’est-ce pas l’image de la poésie familière comparée à la poésie lyrique ? La poésie lyrique va droit à Dieu pour l’interroger sur les mystères de notre destinée ; la poésie familière va de l’herbe au buisson, du buisson au chêne, et du chêne dans les cieux ; mais le terme des deux voyages est le même. L’astronome placé sur le sommet de la pyramide, quand le soleil a disparu de l’horizon, verrait ce que nous voyons en plein jour en descendant au fond du puits. Cette comparaison est d’une vérité frappante, mais elle ne convertira pas M. Villemain.

L’épître adressée à M. Patin se distingue par une grande vérité, et n’est pas, comme l’épître précédente, un plaidoyer inutile. M. Patin a su rajeunir l’histoire de la poésie latine en pénétrant dans l’intimité de la famille romaine, en étudiant curieusement la biographie des poètes antiques, comme s’il s’agissait d’un contemporain ; de tous les épis oubliés qu’il a glanés dans ses veilles laborieuses, il a composé une gerbe dorée que les plus confians n’espéraient pas ; et son enseignement a tous les caractères d’une véritable restitution. C’est aux leçons de M. Patin que nous devons l’épître de M. Sainte-Beuve. Il y a si loin, en effet, de la poésie latine telle que nous l’entrevoyons dans les études fastidieuses de nos premières années à la poésie franche et vive que nous montre M. Patin, que cette différence vaut bien la peine d’être célébrée. Catulle, interprété par l’histoire, par les mœurs, par la famille, par la biographie, est un Catulle tout nouveau, un présent que nous fait le lecteur persévérant, et dont nous devons le remercier. L’étude égoïste des mots nous livre à peine l’écorce de la poésie latine ; quand nous avons entassé dans notre mémoire toutes les variétés de la synonymie, toutes les lois de la syntaxe, nous sommes loin de soupçonner ce qui est caché au cœur de cet arbre vigoureux. M. Patin, en interprétant la poésie latine, tient compte du milieu où cette poésie s’est développée, et il agit sagement ; car, si toute l’histoire de l’Italie antique ne circule pas dans les veines de la poésie latine, il sera toujours utile de connaître