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PENSÉES D’AOÛT.

l’histoire pour comprendre la poésie, comme il est utile de connaître les élémens du terrain où la plante a grandi. Chercher l’homme sous le poète, la famille dans l’histoire, la biographie dans la famille, et après cette triple étude, aborder l’explication de l’œuvre poétique, tel est le but que M. Patin s’est proposé, et qu’il a touché. Grâce à lui, la poésie latine n’est plus une lettre morte ; elle s’est réchauffée, elle s’est remise à vivre ; ses mouvemens ont toute la jeunesse de la génération contemporaine, ses paroles toute la clarté des paroles qui frappent chaque jour notre oreille. Nous comprenons l’antiquité païenne, et en particulier la poésie païenne, autrement que les encyclopédistes, autrement et mieux que Voltaire. C’est donc de la part de M. Sainte-Beuve une fiction bien légitime que de voir dans les vieillards qui viennent écouter les leçons de M. Patin, l’image de cet homme hardi qui s’est placé dans la nécessité d’ignorer bien des points en voulant trop vite les connaître, et qui a été si souvent injuste pour l’antiquité païenne. Si Voltaire, en effet, revenait parmi nous, il serait saisi d’un profond étonnement en apercevant dans les objets de son dédain, et en particulier dans les lyriques latins, tant de beautés inattendues ; il se reprocherait la frivolité de ses jugemens, et s’empresserait de les réformer. En écoutant les explications ingénieuses de M. Patin, il comprendrait pourquoi il trouvait si peu de charme dans la poésie latine. En présence des beautés qu’il n’a pas soupçonnées, il avouerait qu’il n’a pas pris le temps d’étudier les hommes qu’il a jugés si sévèrement ; et cet aveu arraché par l’évidence projetterait une vive lumière sur la nature et la vocation de son intelligence. Il serait démontré, pour Voltaire comme pour nous, que l’auteur de Zaïre et de Mahomet aimait la poésie et la science en vue de la popularité, de la puissance qui appartient au poète et au savant, mais que, dans son ardeur de régner par les vers mélodieux, par la diffusion des connaissances, il ne pouvait trouver ni le temps, ni le courage, ni la volonté de monter jusqu’aux cimes de la poésie et de la science. Il a traversé des plaines immenses, il a creusé d’innombrables sillons, il a jeté d’une main prodigue des semences de toute sorte ; mais il n’a jamais tiré du sol qu’il labourait à la hâte des épis sonores et splendides, comme les gerbes nouées par Sophocle et par Newton. Il parcourait au pas de course le champ de la poésie et de la science, et ce n’est pas merveille si la poésie et la science ne lui ont pas livré tous leurs trésors. L’imagination latine est un temple dont il n’a touché que le seuil ; aujourd’hui la lumière inonde le parvis et l’autel, et l’auteur de Zaïre n’aurait qu’à vouloir pour