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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/234

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REVUE DES DEUX MONDES.

elles étaient toujours ingénieuses et prouvaient une grande imagination. Ils employaient tous les tons pour me convaincre, depuis celui de la flatterie et de la plus basse soumission jusqu’à l’insolence la plus assourdissante : ils se donnaient peu à peu du courage, la chose qui leur manque le plus, en gesticulant et en parlant tous ensemble autour de moi. Lorsqu’ils sont réunis et en pleine révolte, il ne vous reste d’autre parti à prendre que d’appuyer vos remontrances de quelques corrections sévères, distribuées, avec toute la dignité et la noblesse du commandement, sur la joue des plus récalcitrans, et surtout du chef, car il en est toujours un qui répond pour les autres et est chargé de maintenir l’ordre parmi la bande. Il ne faut pas croire cependant que les maltraiter soit un moyen de les conduire ; ce serait le pire de tous : ils ne tarderaient pas à déserter. Vous vous trouveriez alors abandonné, peut-être au milieu des bois, loin de toute habitation, sans secours ni espoir de vous tirer d’embarras.

C’est l’influence de votre force morale qui doit les subjuguer ; et à l’exception de quelques démonstrations assez légères dont je viens de parler, c’est à elle seule qu’il faut avoir recours pour les maintenir dans l’obéissance. Ces punitions qui, chez nous, impriment la honte la plus indélébile, sont pour eux presque une faveur de la part du maître. Je me souviens d’une anecdote qui le prouverait au besoin. Un Indien avait manqué à un général près duquel il servait en qualité de valet de chambre ; il fut sévèrement réprimandé par un des officiers du général, et reçut quelques soufflets. Il n’exprima qu’un seul regret, c’était que son maître n’eût pas pris la peine de les lui appliquer lui-même ! Ce n’est donc qu’en tenant compte de mœurs aussi différentes des nôtres, et en évitant envers ces peuples timides une brutalité inutile, sans manquer toutefois d’une constante énergie, qu’on parvient à se faire obéir et servir à peu près comme on le désire.

Au nombre des contrariétés les plus vives qui vous attendent pendant votre voyage, il faut placer ces terribles pluies de l’Inde auxquelles vous ne pouvez guère espérer d’échapper ; elles vous surprennent à l’improviste, loin de tout abri ; et pendant des heures entières vous recevez des torrens d’eau qui tombent d’aplomb avec une force incroyable, accompagnés des plus beaux éclats de tonnerre que j’aie jamais entendus. Ces pluies retardent votre marche, rendent le terrain impraticable, et démoralisent complètement votre petite troupe. Les membres des malheureux Indiens sont engourdis et raides, et ils restent dans une immobilité complète, comme si tout souffle de vie s’était retiré d’eux.

Un jour que j’avais été assailli par un de ces violens orages, je parvins à me réfugier sous une méchante cahutte ; je ramassai un peu de bois et fis du feu pour me sécher. Toute ma bande, ruisselant d’eau, se précipita