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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/24

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point à être second consul, et jugeant que le temps des idées était passé, et que celui de la force était venu, il abdiqua. Avec lui finissait la souveraineté des théories.

Cependant sa constitution, pour laquelle il avait entrepris le 18 brumaire, fut en partie adoptée par le premier consul, qui l’accommoda à son usage. Sieyes avait senti qu’il fallait une révolution d’ordre en 1800, comme il en avait fallu une de renouvellement en 1789. Pour y arriver, il avait projeté une constitution différente de toutes celles qui l’avaient précédée, propre, selon lui, à entretenir le mouvement social sans le précipiter, et à modérer la puissance de la parole, qui lui semblait avoir beaucoup contribué à tout perdre. Dans cette constitution, il faisait juger ce qu’auparavant on avait fait délibérer. Le corps législatif était un tribunal muet de judicature, devant lequel le tribunat, avocat de la nation, et le conseil d’état, avocat du gouvernement, plaidaient la loi. Le jury constitutionnaire, qui devint le sénat conservateur, veillait au maintien de la loi, et recevait dans son sein les grands ambitieux pour les absorber et les vieux serviteurs de l’état pour les récompenser. Un grand électeur couronnait cet édifice, possédant la plus haute position sans avoir la suprême autorité, nommant parmi les candidats du peuple les membres des grands corps de l’état, mais ayant la mission de choisir sans avoir le droit de gouverner. Sieyes espérait ainsi concilier la liberté et l’ordre, le mouvement et la stabilité, l’action nationale et la force du pouvoir.

Le premier consul rompit ce savant équilibre et se joua de ces prévoyantes et vaines combinaisons. Il avait l’ambition et le génie du commandement. Ses contemporains étaient d’ailleurs ses complices. Ils avaient besoin d’un grand homme, et ils semblaient craindre que la volonté qui pouvait pacifier les partis fut contenue, que la main qui pouvait relever les ruines fût arrêtée, et qu’on ne laissât point libre l’épée qui devait défendre la France. Le premier consul accepta la dictature que lui décernait son temps. Il prit dans les idées de Sieyes ce qui pouvait faciliter son propre pouvoir. Depuis 1800 jusqu’en 1814, toutes les constitutions se modelèrent en grande partie sur les plans de Sieyes, dont le génie original fournit ainsi à la révolution ses idées fondamentales, et à l’empire ses formes législatives.

Quant à lui, il ne voulut plus rien être. Cependant, bien qu’il