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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/33

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POÈTES ÉPIQUES.

qui se montraient dans les incantations. L’émeraude donnait la chasteté ; l’agate, l’éloquence ; l’améthyste, la tempérance ; le jaspe, la puissance ; l’onyx, la beauté ; le saphir, la paix. Le corail préservait de la foudre ; la turquoise, des embûches ; la calcédoine[1], des illusions ; l’escarboucle, des fantômes ; l’iris, des fausses ténèbres ; la chrysolithe, des passions ; la sardoine, de la tristesse ; la topase, de la folie ; mais c’était le Saint-Graal qui rassemblait toutes ces facultés, et d’autres plus célestes encore. Talisman de sainteté, d’amour, d’immortalité ! le chevalier cherchait à travers monts et vaux, dans la nature, cette pierre précieuse, comme l’alchimiste cherchait dans son creuset la pierre philosophale ; et cette tradition à laquelle se rattache la philosophie d’Albert-le-Grand, et qui se lie à la mythologie arabe, à la science d’Avicenne, des mages et de l’Hermès égyptien, est le point par où l’épopée catholique s’allie à la poésie orientale. Ainsi, dans l’architecture gothique, l’ogive vous renvoie de Reims à Damas et Ispahan.

Si l’on se contentait de chercher ce mélange du génie sacerdotal et arabe dans les poèmes de la langue d’oil du xiie siècle, on ne l’y trouverait qu’à grand’peine ; car la poésie, en France, est sortie de bonne heure du sein de l’église. Telle que les trouvères l’ont faite, elle est déjà toute profane et mondaine. Les chevaliers, il est vrai, poursuivent encore la recherche du saint vase ; la lance sanglante du Calvaire brille encore au sein des nuits enchantées de Parceval. Mais, à chaque moment, le but sacré est oublié, et la galanterie chevaleresque distrait déjà les poursuivans de l’amour divin. Chrétien de Troie, qui a été dans le nord le chantre de ce cycle, ne conserve plus rien du génie sacerdotal. Si l’on ne considérait que ses œuvres, on conclurait avec raison que ce génie n’a jamais existé. Rien n’arrête, rien ne précipite son petit vers de huit pieds, qui, à l’origine, peut avoir été celui des proses rimées des chants d’église. Il va du même pied sans s’arrêter jamais, comme le palefroi amblant d’une noble demoiselle. Évidemment, le poète de Philippe-Auguste emploie à chaque instant des emblèmes sacrés qui ont perdu pour lui leur ancienne importance, soit que

  1. Calcidonius dicitur valere contrà illusiones phantasticas et melancolià exortas. Albertus magnus.