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ILLUSTRATIONS SCIENTIFIQUES.
d’ici-bas, tu seras, ainsi que mes chers enfans, l’objet de mes soins et de ma complaisance. Puissent-ils jouir d’un meilleur sort que leur père et avoir toujours devant les yeux la crainte de Dieu, cette crainte salutaire qui opère en nos cœurs l’innocence et la justice malgré la fragilité de notre nature… Ne parle pas à ma Joséphine du malheur de son père, fais en sorte qu’elle l’ignore ; quant à mon fils, il n’y a rien que je n’attende de lui. Tant que tu les posséderas, et qu’ils te posséderont, embrassez-vous en mémoire de moi : je vous laisse à tous mon cœur. »


Suivent quelques soins d’économie domestique, quelques avis de restitution de dettes, minutieux scrupules d’antique probité ; le tout signé en ces mots : J.-J. Ampère, époux, père, ami, et citoyen toujours fidèle. Ainsi mourut, avec résignation, avec grandeur, et s’exprimant presque comme Jean-Jacques eut pu faire, cet homme simple, ce négociant retiré, ce juge de paix de Lyon. Il mourut comme tant de Constituans illustres, comme tant de Girondins, fils de 89 et de 91, enfans de la Révolution, dévorés par elle, mais pieux jusqu’au bout, et ne la maudissant pas !

Parmi ses notes dernières et ses instructions d’économie à sa femme, je trouve encore ces lignes expressives, qui se rapportent à ce fils de qui il attendait tout : « Il s’en faut beaucoup, ma chère amie, que je te laisse riche, et même une aisance ordinaire ; tu ne peux l’imputer à ma mauvaise conduite ni à aucune dissipation. Ma plus grande dépense a été l’achat des livres et des instrumens de géométrie dont notre fils ne pouvait se passer pour son instruction ; mais cette dépense même était une sage économie, puisqu’il n’a jamais eu d’autre maître que lui-même. »

Cette mort fut un coup affreux pour le jeune homme, et sa douleur ou plutôt sa stupeur suspendit et opprima pendant quelque temps toutes ses facultés. Il était tombé dans une espèce d’idiotisme, et passait sa journée à faire de petits tas de sable, sans que plus rien de savant s’y traçât. Il ne sortit de son état morne que par la botanique, cette science innocente dont le charme le reprit. Les lettres de Jean-Jacques sur ce sujet lui tombèrent un jour sous la main, et le remirent sur la trace d’un goût déjà ancien. Ce fut bientôt un enthousiasme, un entraînement sans bornes ; car rien ne s’ébranlait à demi dans cet esprit aux pentes rapides. Vers ce même temps, par une coïncidence heureuse, un Corpus poetarum latinorum, ouvert au hasard, lui offrit quelques vers d’Horace dont