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l’harmonie, dans sa douleur, le transporta, et lui révéla la muse latine. C’était l’ode à Licinius et cette strophe :


Sæpiùs ventis agitatur ingens
Pinus, et celsæ graviore casu
Decidunt turres, feriuntque summos
Fulmina montes.


Il se remit dès-lors au latin, qu’il savait peu ; il se prit aux poètes les plus difficiles, qu’il embrassa vivement. Ce goût, cette science des poètes se mêla passionnément à sa botanique, et devint comme un chant perpétuel avec lequel il accompagnait ses courses vagabondes. Il errait tout le jour par les bois et les campagnes, herborisant, récitant aux vents des vers latins dont il s’enchantait, véritable magie qui endormait ses douleurs. Au retour, le savant reparaissait, et il rangeait les plantes, cueillies avec leurs racines, dans un petit jardin, observant l’ordre des familles naturelles. Ces années de 94 à 97 furent toutes poétiques, comme celles qui avaient précédé avaient été principalement adonnées à la géométrie et aux mathématiques. Nous le verrons bientôt revenir à ces dernières sciences, y joignant physique et chimie ; puis passer presque exclusivement, pour de longues années, à l’idéologie, à la métaphysique, jusqu’à ce que la physique, en 1820, le ressaisisse tout d’un coup et pour sa gloire : singulière alternance de facultés et de produits dans cette intelligence féconde, qui s’enrichit et se bouleverse, se retrouve et s’accroît incessamment.

Celui qui, à dix-huit ans, avait lu la Mécanique analytique de Lagrange, récitait donc à vingt ans les poètes, se berçait du rhythme latin, y mêlait l’idiome toscan, et s’essayait même à composer des vers dans cette dernière langue. Il entamait aussi le grec. Il y a une description célèbre du cheval chez Homère, Virgile et le Tasse[1] : il aimait à la réciter successivement dans les trois langues.

Le sentiment de la nature vivante et champêtre lui créait en ces momens toute une nouvelle existence dont il s’enivrait. Circonstance piquante et qui est bien de lui ! cette nature qu’il aimait et

  1. Homère, Iliade vi ; Virgile, Énéide xi ; et le Tasse, probablement Jérusalem délivrée, chant ix, lorsqu’Argilan, libre enfin de sa prison, est comparé au coursier belliqueux qui rompt ses liens.