Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/416

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
412
REVUE DES DEUX MONDES.
qui serait bien fait pour réussir ; ce serait d’embrasser toutes les sciences et d’en enseigner ce qui serait suffisant pour ne pas y être étranger, d’en saisir les faits généraux, d’en faire apercevoir les points de contact, et de donner ce qu’on pourrait appeler la philosophie ou la génération de toutes les connaissances humaines (toujours l’universalité, on le voit). Je m’explique sans doute mal, mais vous savez ce que je veux dire… Il est sûr qu’outre ce cours du Salon des Arts, vous pourriez avoir, comme autrefois, des cours particuliers, ou travailler à quelque ouvrage. Vous seriez ici avec vos amis, vous éviteriez les abîmes de la solitude, vous vous retrouveriez peut-être. Si une fois vous pouviez compter sur une existence agréable et honorable, vous pourriez vous associer une femme de votre choix, et qui parviendrait peut-être à combler le vide qu’a laissé dans votre cœur la perte de vos anciennes affections. Je sais, mon pauvre et cher ami, tout ce que vous pouvez me répondre ; je sais qu’un second mariage dans cette ville vous répugnerait ; mais, de bonne foi, cette répugnance n’est-elle pas un enfantillage ? Eh ! mon Dieu ! dans le monde, où tous les sentimens s’affaiblissent, où toutes les douleurs morales finissent, on trouvera très naturel votre second mariage ; on croira qu’il est le fruit de l’inconstance de nos affections et de l’instabilité de nos sentimens, même les plus vifs et les plus profonds. Mais ceux qui connaissent mieux le cœur humain, ceux qui auront étudié un peu le vôtre, ceux enfin dont l’opinion et l’amitié peuvent être quelque chose pour vous, sauront bien que votre ame expansive a besoin d’une ame qui réponde à chaque instant à la vôtre. Ainsi, dans tous les cas, vous serez justifié : les indifférens, comme vos connaissances et vos amis, trouveront cela très naturel. Voyez, mon cher ami, à quoi vous êtes exposé. La solitude ne vous vaut rien, non plus qu’à moi. Revenez au milieu de vos amis, et mariez-vous dans votre patrie…
« … Au risque de vous fâcher, je dois vous dire ici la vérité. Vous ne savez pas encore ce que c’est que de résister à vos penchans, et c’est ainsi que vous vous exposez à les faire devenir de véritables passions. Croyez-vous donc que tout aille dans le monde au gré de chacun ? Comptez-vous donc pour rien cette grande vassalité qui nous soumet et nous entraîne à chaque instant ? Étudiez votre cœur, descendez dans votre ame, et lorsque vous apercevrez un sentiment nouveau, cherchez à savoir s’il est raisonnable. N’attendez pas pour éteindre un feu de cheminée que ce soit devenu un grand incendie. Il y a des malheurs sans remède, il faut nous consoler. Il y a des malheurs que notre faute a occasionnés ou empirés, il faut nous corriger. Les petites choses vous agitent, que doit-ce être des grandes ?… Modérez-vous sur les choses indifférentes de la vie, et vous parviendrez à être modéré sur les choses importantes… »