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plupart des poètes contemporains. Toutefois nous devons lui rendre cette justice, qu’il se montre courageux et persévérant selon ses forces. Il n’a jamais fait de grandes choses, mais il a fait, du moins nous le croyons, tout ce qu’il pouvait faire. Dans la conception et l’exécution de ses pièces, dans le choix de ses personnages, dans la césure et la rime de ses vers, il n’est jamais resté au-dessous des devoirs que lui imposait la probité poétique. Il a été ingénieux, passionné, dans la mesure de ses forces. Ce n’est pas sa faute vraiment s’il n’est pas né poète, et si le travail n’a pu réussir à corriger sa nature primitive.

La conduite de M. Casimir Delavigne depuis la naissance du roi de Rome, époque de ses premiers débuts, est un modèle d’habileté poltronne, et mérite d’être étudiée, ne fût-ce que pour découvrir sur quels auxiliaires s’est appuyé le poète, à quels élémens du goût public il s’est adressé, quel but il s’est proposé, en un mot quelles sont les conditions historiques de son succès. Cette étude, je l’avoue, est une tâche délicate ; mais je ne la crois pas inutile.

M. Delavigne a pris pour point de départ le respect entêté de la tradition. Il n’a pas cru que la perpétuelle imitation de Corneille et de Molière suffît au succès d’un nouveau répertoire ; mais il a inscrit sur son drapeau Tartuffe et Cinna, sûr qu’à la faveur de ces deux grands noms il obtiendrait toujours l’approbation de la foule, quoiqu’il pût tenter, d’ailleurs, pour ou contre les modèles du xviie siècle. Il ne s’est pas enquis du sens précis de la tradition ; il ne s’est pas demandé quelle valeur il faut attribuer au passé, si les ouvrages admirés conseillent la servitude ou l’indépendance, s’il convient de les copier, ou d’engager la lutte et de créer à son tour. Toutes ces questions, bien que sérieuses, ne paraissent pas avoir préoccupé M. Delavigne. Il semble n’avoir vu dans la tradition et dans le respect qu’il a toujours professé pour les maîtres de notre langue qu’un moyen de se concilier la sympathie publique. L’évènement n’a pas démenti son espérance ; la tradition a rendu à M. Delavigne d’incontestables services. Ce n’est pas que l’auteur des Vêpres siciliennes et de l’École des Vieillards ait continué Corneille ou Molière, car ces deux ouvrages, réduits à leur juste valeur, ne sont tout au plus qu’une tragédie sonore et une épître ingénieuse. Mais l’auteur a eu l’adresse de placer les Vêpres siciliennes et l’École des Vieillards sous l’invo-