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DU THÉÂTRE EN FRANCE.

cation du patriotisme littéraire. Dans le prologue ou dans le dialogue de ses pièces il ne s’est pas fait faute de publier son respect pour les poètes du grand siècle, et sa profession de foi a passé auprès de bien des gens pour un brevet de génie.

Si M. Delavigne se fût contenté de proclamer en toute occasion son respect pour les maîtres, nous ne songerions pas à incriminer la mystification du public. Sans voir dans le succès de ses ouvrages un motif légitime d’admiration, nous consentirions à prendre ses déclarations de principes pour une ruse de bonne guerre. Mais il s’est permis une malice moins innocente. Il a pris parti contre les poètes qui voulaient inventer ; il s’est fait l’écho des railleries vulgaires, des quolibets ignorans ; au lieu d’étudier ou du moins de tolérer comme une nécessité glorieuse les tentatives littéraires qui se multipliaient autour de lui, il s’est mêlé à la foule des rieurs ; il a placé dans la bouche de ses héros bourgeois des plaisanteries qui traînaient depuis long-temps dans les arrière-boutiques et dans les salons de la rue Saint-Louis. En épousant le dédain aveugle de la foule, il n’avait plus le mérite de l’espièglerie. Il ne jouait personne, il s’enrôlait. Mais l’enrôlement lui a réussi.

Cependant, malgré son respect officiel pour les maîtres de la scène française, malgré ses railleries complaisantes contre les novateurs, M. Delavigne n’aurait pas conquis la popularité dont il jouit parmi nous, s’il n’eût pris soin de modeler ses œuvres sur la timidité du goût public. Louer en toute occasion Corneille et Racine, c’était beaucoup assurément ; traiter avec une malice paternelle les tentatives de la littérature contemporaine, pouvait passer pour un calcul assez adroit. Mais après avoir exposé ses principes, M. Delavigne se devait à lui-même de les appliquer. Or, comme ces principes n’ont en eux-mêmes rien de vital et d’actif, il était naturel et nécessaire que les œuvres de M. Delavigne fussent empreintes d’un caractère pareil, c’est-à-dire qu’elles eussent la prétention de s’interposer entre le présent et le passé, de continuer le xviie siècle en lui imposant un vêtement nouveau, et d’accepter plusieurs points des doctrines contemporaines, mais de les interpréter d’après les conseils d’une sagesse bienheureuse. Et en effet toutes les œuvres de M. Delavigne répondent parfaitement à l’opinion générale de la bourgeoisie. Elles participent à la fois des maîtres pour la forme extérieure, pour les lignes du plan, et des