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journal ministériel à décider la question, et contre son usage, à la décider en faveur de la Russie ? Je livre ce fait à vos réflexions.

L’impératrice Catherine disait un jour à l’ambassadeur d’Angleterre quand cette puissance armait contre elle : « Puisque votre cour veut me chasser de Saint-Pétersbourg, elle me permettra, j’espère, de me retirer à Constantinople. » Quand la grande Catherine parlait ainsi, elle ne se livrait pas à une bravade de prince ou de soldat, elle disait une vérité sans réplique. Tous les souverains de la Russie qui apprécieront leur situation, — et, en général, ce n’est pas cette qualité qui leur a manqué jusqu’à ce jour, — ne s’établiront à Constantinople qu’après avoir renoncé à la prépondérance que la Russie veut toujours exercer sur l’Europe, qu’elle surveille de cette fenêtre ouverte sur la Baltique par Pierre-le-Grand, qui n’a pas placé sans raison sa métropole à l’extrémité de l’empire. La Russie a déjà deux métropoles, Saint-Pétersbourg et Moscou ; elle en aurait trois en s’établissant à Constantinople, et cette dernière aurait tant d’avantages sur les deux autres, qu’en peu d’années le siége de l’empire serait déplacé, et que la Russie perdrait bientôt l’unité qui fait sa force. Ce sont là des raisons qui ont été pesées dans tous les cabinets, et qu’on apprécie aussi bien à Londres qu’à Saint-Pétersbourg.

L’Angleterre ne craint donc pas l’occupation de Constantinople, mais la domination que la Russie exerce sur la mer Noire. La Russie manque de population maritime ; sa flotte de la Baltique est presque constamment enfermée par les glaces ; les mers où elle navigue, la mer Caspienne, la mer Baltique, et même la mer Noire, sont des eaux sans issue facile ; ses vaisseaux manquent d’un vaste espace pour s’exercer, de lieux de relâche dans les petites mers où ils naviguent, qui ne sont, après tout, que des lacs qu’elle a élevés à la dignité de mers, à peu près comme M. Guizot fait des routes de premier ordre avec les chemins de nos communes. L’Angleterre ne craint donc rien de cette marine militaire, toute nombreuse qu’elle est, parce qu’elle ne se recrute pas par une marine marchande ; elle pense qu’elle n’a pas à redouter ces immenses et majestueux vaisseaux russes dont lord Durham, bon Anglais en ce point comme en tous les autres, dit avec dédain que ce sont les plus gros joujoux qu’il ait vus. Grâce aux opinions de l’Angleterre sur la marine russe, toutes les questions