Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/599

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
595
POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

mon conte des Deux Chiens. Mon père était âgé quand il se maria ; j’étais l’aîné de sept enfans ; et lui, usé par les fatigues prématurées, n’était plus en état de supporter le travail. Mon père s’irritait vite, mais son courage n’était pas facilement abattu. Son bail était résiliable dans deux ans, et pour atteindre la fin de ces deux années, nous réduisîmes nos dépenses. Nous vivions misérablement. Pour mon âge, j’étais un habile laboureur, et l’aîné après moi, Gilbert, pouvait très bien mener la charrue, et m’aider à battre le blé. Un faiseur de romans aurait peut-être vu ces scènes avec quelque satisfaction, mais non pas moi. Je me sens bouillir encore d’indignation au souvenir des insolentes menaces de ce gredin d’agent dont les lettres nous faisaient tous fondre en larmes.

« L’obscurité mélancolique d’un ermite, et le labeur incessant d’un galérien, tel fut mon genre de vie jusqu’à l’âge de seize ans. C’est un peu avant cette époque que je commis, pour la première fois, le péché de la rime. Vous connaissez la coutume de notre pays d’accoupler un homme et une femme pour les travaux de la moisson. Dans mon quinzième automne, mon associée fut une séduisante créature plus jeune que moi d’un an. Je sais trop peu d’anglais pour lui rendre justice en cette langue. Mais vous comprenez l’écossais — c’était une bonie, sweet, sosie lacs. En un mot elle m’initia sans le vouloir à cette délicieuse passion qu’en dépit de l’amer désappointement, de la prudence, ce cheval de brasseur, et de la philosophie, cette rongeuse de livres, je tiens pour la première des joies humaines, pour notre chère bénédiction ici-bas. Comment elle gagna la contagion, je ne puis le dire. Vous autres médecins, vous parlez beaucoup d’infection par respiration, par attouchement, etc… Mais je ne lui dis jamais expressément que j’étais amoureux d’elle. En vérité, je ne savais pas moi-même pourquoi j’aimais tant à rester en arrière avec elle le soir, au retour du travail ; pourquoi les notes de sa voix faisaient vibrer les cordes de mon cœur comme une harpe éolienne, et pourquoi mon pouls battait si fort quand j’approchais l’œil et le doigt de sa petite main pour en extraire les cruels piquans de l’ortie ou du chardon.

« Entre autres qualités séduisantes, elle chantait avec tant de charme ! C’est sur son reel favori que j’essayai mes premiers vers. Je n’étais pas assez présomptueux pour m’imaginer qu’ils vau-