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bourreau devait prélever son droit. Pendant plusieurs mois, mille victimes passèrent chaque jour de cette prison au fond de la Loire et dans la carrière de Gigant, où le comité révolutionnaire entretenait trois cents fossoyeurs ! Mais Carrier avait beau tuer des deux mains, les cachots regorgeaient toujours, car la Vendée entière s’y précipitait comme une mer débordée. Lorsqu’en 94 on ouvrit l’entrepôt, on y trouva par centaines des malheureux étouffés ou morts de faim, des femmes qui avaient succombé dans les douleurs de l’enfantement, et que les rats avaient dévorées, des squelettes d’enfans encore cramponnés au sein de squelettes qui avaient été leurs mères ! Au rapport des médecins, les malades qui sortirent de ce sépulcre sentaient le cadavre ! À l’hospice, un seul lit en recevait jusqu’à cinquante dans le même jour ; ils ne faisaient qu’y passer et y mourir.

Maintenant, les bâtimens de l’entrepôt ont été blanchis à neuf, et rien n’y rappelle plus le charnier de 93. Les bourgeois de Nantes ont construit à l’entour un quartier composé d’élégans hôtels qu’ombragent des acacias et que tapissent des clématites !…. — Espèce d’à-propos symbolique qui semble rappeler que tout le sang versé par nos pères a servi à engraisser le sol où moissonne maintenant la bourgeoisie.

En remontant le cours de la Loire, vous rencontrerez le Bouffai, vieille forteresse transformée en palais de justice. Il ne reste de l’édifice primitif qu’une tour décharnée où l’on a eu l’idée bizarre de placer en plein vent la principale horloge de la ville, qui, de cette manière, fonctionne moins comme horloge que comme baromètre. Un peu plus haut se trouve l’ancien château devant lequel Henri IV s’arrêta en s’écriant : — Ventre-saint-gris ! les ducs de Bretagne n’étaient pas de petits compagnons !

Après la réunion à la France, le château de Nantes servit fréquemment de prison d’état. Un soir de l’année 1654, et pendant que les gardiens regardaient un moine jacobin se noyer dans la Loire, un petit prêtre miope et presque bossu se laissa glisser le long d’une corde, du haut de la tour la plus élevée, monta sur un cheval qui l’attendait à Richebourg, et s’enfuit à Rome à franc étrier. C’était le cardinal de Retz, ce Catilina à l’eau rose, qui dépensa tant d’esprit en bruyantes sottises, tant d’imagination en complots avortés ; sa captivité durait depuis cinq mois.