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divin : double erreur sortie d’une source commune, consistant l’une et l’autre à faire du pouvoir sa propre règle, à le légitimer dans sa source au lieu de le légitimer par son action.

Sur notre terre de raisonneurs, où le moyen-âge vit fleurir la scolastique, où la révolution débuta par les théories constituantes, l’argument grossier d’une majorité numérique ne s’établira jamais. La doctrine du vote universel n’a jamais gagné le moindre terrain au sein de l’opinion libérale ; et peut-être suffirait-il de voir en quelles mains cette arme a passé, pour s’assurer que cette théorie ne sera jamais prise au sérieux parmi nous. Si l’on consent à s’en prévaloir dans des disputes sans loyauté, c’est, nul ne l’ignore, pour aider au triomphe d’une idée dogmatique incompatible avec elle, et nullement pour rendre hommage à un principe repoussé par notre organisation française aussi énergiquement que le protestantisme en religion et le scepticisme en philosophie.

D’où vient qu’une doctrine qui fleurit aux États-Unis ne saurait être en France qu’une spéculation impuissante ? secret du passé où gît celui de l’avenir. Les révolutions développent les peuples plutôt qu’elles ne les transforment, et chaque société est identique avec elle-même. C’est surtout par le parallèle de l’Amérique avec l’Europe que cette vérité éclate dans toute son évidence. Il suffira d’en rappeler les bases.

Pendant que les tempêtes religieuses bouleversaient l’ancien monde, des hommes aux mœurs austères passaient l’Océan pour aller, sous la main de Dieu, pratiquer au sein d’une nature vierge et féconde des vertus que leur patrie ne pouvait ni comprendre ni supporter. À l’égalité évangélique de ces moines de la réformation se joignit l’égalité du désert, et le pionnier se greffa sur le puritain. Dans cette société unique sans doute sur la terre, l’on se respectait au même titre, car l’on était martyr de la même cause, voué au culte de la même pensée. En quittant la vieille patrie, on avait dépouillé le vieil homme, et l’on s’emparait sans souvenirs de cette terre pleine de jeunesse. Du luxe, il n’y en avait pour personne ; de l’aisance, il y en avait pour tous. Chacun pouvait prendre sa part au banquet commun ; et la forêt cédait sous la hache de quiconque l’entamait avec un bras robuste et un cœur nourri d’espérance. Tous étaient donc propriétaires, agrandissant leur domaine selon que les bénédictions de Dieu descen-