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mer l’auteur, à moins qu’ils n’appartinssent comme lui à la Société de Jésus.

C’est dans son troisième volume, publié en 1614, que se trouve, page 369, le passage en question qui fait partie d’une description de Sierra-Leone.

« Dans cette province, dit Du Jarric, il y a de toutes sortes d’oiseaux et autres animaux qui se trouvent au demeurant de la Guinée, mesmement une grande diversité de singes. Entre autres, on en trouve une espèce qu’on appelle baris, qui sont gros et membrus, lesquels ont une telle industrie, que si on les nourrit et instruit dès qu’ils sont jeunes, ils servent comme une personne ; car ils marchent d’ordinaire avec les deux pattes de derrière tant seulement, et pilent ce qu’on leur baille dans des mortiers. Ils vont quérir de l’eau à la rivière dans de petites cruches qu’ils portent toutes pleines sur leur teste ; mais arrivant à la porte de la maison, si on ne leur prend bientôt les cruches, ils les laissent cheoir à terre ; et voyant l’eau versée et la cruche rompue, ils se mettent à crier et à pleurer[1]. »

Il n’y a évidemment dans tout ce que le P. Du Jarric nous conte de ses baris rien qui oblige de leur supposer une intelligence supérieure à celle du chien ; et si les effets de l’éducation chez ces animaux nous surprennent, c’est surtout parce que nous sommes accoutumés à voir dans les singes des êtres tout-à-fait ingouvernables ; du moment où il s’en trouve une espèce douée de docilité,

  1. Buffon, qui cite beaucoup, mais qui prend rarement la peine de remonter aux ouvrages originaux, semble dire que Du Jarric ne fait ici que copier Pyrard de Laval. Pyrard n’a jamais été à Sierra-Leone, et dans l’endroit indiqué par Buffon (seconde édition, pag. 331, édition de 1619), il ne parle que de singes américains. « C’est, dit-il en parlant du Brésil, un pays assez rude et sauvage, presque tout couvert de bois. Et mesmes jusques auprez et environs des villes, ce sont toutes forêts remplies de singes et guenuches, qui font beaucoup de mal… »

    Le passage, relatif aux orangs de Sierra-Leone se retrouve ailleurs, il est vrai ; mais c’est dans la relation d’un voyageur beaucoup plus moderne, dans celle de Barbot. Malgré le long séjour qu’il avait fait à la côte de Guinée, Barbot, pour rédiger son livre, a fait bien moins usage de ses observations que de ses lectures, et il a toujours évité soigneusement d’indiquer les sources où il puisait. Ici il a ajouté, aux traits que lui fournissait le jésuite bordelais, pour l’histoire des baris, un trait qu’il avait volé à quelque autre, et que Gemelli Carreri, écrivain tout aussi peu scrupuleux, lui a repris à son tour, pour l’appliquer aux grands singes de l’Archipel indien. Suivant lui, ces animaux sont très friands d’huîtres, et pour en manger, ils viennent au rivage, lorsque la marée est basse ; ils se glissent derrière les rochers, et lorsqu’ils voient les huîtres béantes à la chaleur du soleil, ils tâchent de placer une pierre entre les deux valves, de manière à les empêcher de se refermer ; quelquefois cependant, tandis que la main est encore engagée, la pierre glisse, et nos gourmands, pris au piége, deviennent la proie des nègres ; car ils ne peuvent emporter le coquillage, qui est beaucoup plus pesant que nos huîtres communes.