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LES ORANGS.

les, hommes doués d’une agilité merveilleuse, quoique n’ayant qu’une seule jambe, et dont le pied est si large, qu’ils s’en font au besoin un parasol. C’eût été peine perdue que de chercher à découvrir au milieu de pareilles fables ce qui pouvait s’y trouver de vérité, tant qu’on n’avait pas d’observations directes sur lesquelles la critique pût s’appuyer ; or, on n’en eut guère que par suite des grandes découvertes qui signalèrent la fin du XVe siècle et le commencement du xvie. Alors se répandit le bruit qu’il existait en effet des animaux qui ressemblaient à l’homme, non-seulement par les formes, mais encore par la taille, et, jusqu’à un certain point, par l’intelligence.

Ces animaux, s’il en fallait croire les voyageurs, marchaient habituellement le corps droit, ils savaient s’aider d’un bâton pour affermir leurs pas, et de pierres pour repousser une attaque ; ils n’avaient, disait-on, rien de la pétulance commune aux magots, aux guenons et aux babouins ; mais, dans toutes leurs actions, on remarquait une sorte de gravité qui allait fort bien avec la respectable barbe dont leur menton était décoré.

On ajoutait beaucoup d’autres détails, dont quelques-uns étaient si étranges, qu’ils excitaient, à bon droit, les soupçons des gens judicieux. L’histoire de l’homme des bois fut donc assimilée aux histoires d’hommes marins qu’on entendait raconter aux mêmes matelots, et jusqu’au commencement du XVIIe siècle, aucun écrivain respectable ne se hasarda à en parler.

Le plus ancien ouvrage dans lequel il soit parlé clairement de ces animaux, est assez peu connu, et mériterait de l’être davantage ; il a pour titre : « Histoire des choses plus mémorables advenues tant ez Indes orientales que autres pays de la descouverte des Portugais, en l’establissement et progrez de la foi chrestienne et catholique. » L’auteur, le P. Du Jarric, n’avait point voyagé ; mais, comme il écrivait l’histoire des travaux des jésuites, il recevait des religieux de son ordre toutes les communications dont il avait besoin pour bien s’acquitter de sa tâche. D’ailleurs, vivant dans un port très fréquenté (il professait la théologie à Bordeaux), il avait souvent occasion d’interroger des marins arrivant de voyages de long cours ; de cette manière il parvint à réunir une foule de bons renseignemens dont les écrivains postérieurs ont souvent profité, mais d’une façon déloyale, c’est-à-dire sans nom-