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MADAME DE PONTIVY.

On se retrouve à de certaines ouvertures du feuillage ; on se regarde un moment, on se touche la main ; et l’on continue derrière le riant rideau. »

Il lui parlait souvent ainsi, essayant d’orner et d’introduire une part de raison durable dans la passion toujours vive, et rien alors ne semblait plus manquer à leur vie embellie. Mais, comme l’illusion d’une certaine perspective a besoin de se retrouver même dans les choses de l’amour lorsque son règne se prolonge, ces personnages qui, de loin, sous leurs lambris élégans et leurs berceaux, nous semblent réaliser un idéal de vie amoureuse, enviaient eux-mêmes d’autres cadres et d’autres groupes qui leur figuraient un voisinage plus heureux. Ils auraient voulu vivre près d’Anne d’Autriche avant la Fronde, à la cour de Madame Henriette durant ses voyages de Fontainebleau, ou aux dernières belles années de Louis XIV, dans les labyrinthes encore illuminés de Versailles, entre Mmes de Maintenon et de Montespan. Ils étaient bien d’accord à former ensemble ces vœux, sur lesquels ils reportaient et variaient sans cesse leur présent bonheur. Leur roman était là, car le roman n’est jamais le jour que l’on vit ; c’est le lendemain dans la grande jeunesse ; plus tard, c’est déjà la veille et le passé.

Aux raisonnemens aimables de M. de Murçay, Mme de Pontivy, charmée par instans, et souriant en toute complaisance, répondait que c’était juste, mais au fond ne demeurait pas convaincue. Elle en revenait toujours à son idée, que la passion est tout, et le reste insignifiant ou très secondaire ; ou bien elle accordait que les distinctions de M. de Murçay étaient parfaites, qu’il y avait nécessité pour elle de se rendre plus raisonnable et un peu moins tendre, et qu’elle tâcherait l’un et l’autre ; ce qu’il n’entendait pas du tout ainsi. Il résultait de là, souvent de simples contradictions enjouées, parfois aussi des tiraillemens réels et des froideurs, à la suite desquelles, au milieu de leurs entraves, se ménageaient bientôt des raccommodemens passionnés. L’entraînement, après ces désaccords, reprenant avec moins d’équilibre et de prudence, aurait pu leur devenir fatal. En ces instans de vrai délire, elle était capable de tout témoignage. La mort ou la ruine lui eussent peu coûté ; elle désirait mourir avec lui ; elle allait jusqu’à désirer un fils. Mais ce gage si dangereux lui était refusé. Une chute qu’elle