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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/744

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tion qu’à l’extrémité, pour ainsi dire. M. de Murçay, qui peut-être y pensait le plus constamment, évitait surtout d’en parler ; c’était au plus par quelque allusion de lieu qu’il le désignait ; et je croirais, en vérité, que, depuis la déclaration du berceau, il ne lui arriva jamais de nommer le mari de Mme de Pontivy par son nom dans le tête-à-tête. Cette pensée ne laissait pourtant pas d’être une épine cachée.

Mme de Pontivy, sans être exigeante, mais parce qu’elle était passionnée, trouvait nécessaire et simple que M. de Murçay se retranchât quelquefois certaines paroles, certains jugemens, certaines relations même, qui pouvaient aliéner de lui l’esprit de sa tante, plus absolue en vieillissant, et rendre leur commerce moins facile. Placée au centre d’une seule idée, elle ne voyait partout à l’entour que des moyens, et elle ne concevait pas qu’un goût de philosophie, judicieux ou non, une opinion quelconque sur les oracles ou les miracles, ou encore sur le chapeau de l’abbé Dubois, pût venir jeter le moindre embarras dans la chose essentielle et sacrée. Il lui répliquait là-dessus avec toutes sortes de développemens :

« Mon amie, la passion, croyez-le, est chez moi comme en vous, mais avec ses différences de nature qu’il faut bien accepter. Vous êtes mon soleil ardent, vous le savez ; je ne suis peut-être que l’astre qui s’éclaire de vous, qui s’éteint en vous, et que vous ne revoyez briller que quand vous semblez disparaître. Mais, quoi qu’il en soit de moi en particulier, n’oubliez pas aussi que l’homme a des facultés diverses, et que l’amour le mieux régnant laisse encore à un amant réfléchi le loisir de regarder. Tâchons donc que ce soit du même point que nous regardions même ce qui n’est pas nous. Et je ne parle pas seulement de ce qui intéresse l’honnêteté naturelle et la justice. Soyons d’accord en causant de tout, même des choses de bel-esprit, afin de mieux appuyer l’exact rapport de nos ames. Voyons avec justesse les spectacles même indifférens à notre amour, pour que la préférence de notre amour ait tout son prix. Quand vous lisez Mme de Motteville ou Retz qui vous charment tant, et que nous en causons, il nous est doux de sentir notre amour tendrement animé sous cette concordance unie de notre jugement, comme il nous était doux l’autre jour, en marchant, de causer à travers la grande charmille.