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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/760

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REVUE DES DEUX MONDES.

savez comme on va aux champs), se groupent, s’écoutent, regardent en l’air, ouvrent la bouche, et paient tous les six mois. Maintenant voulez-vous me dire si vous avez jamais connu un homme, non pas un homme, mais un mouton, c’est encore trop dire, l’être le plus simple et le moins compliqué, un mollusque, dont les actions fussent toujours bonnes, ou toujours mauvaises, incessamment blâmables, ou louables incessamment ! Il me semble que si trente journaux avaient à suivre, à examiner à la loupe un mollusque du matin au soir, et à en rendre fidèlement compte au peuple français, ils remarqueraient que ce mollusque a tantôt bien agi, tantôt mal, ici a ouvert les pattes à propos pour se gorger d’une saine pâture, là s’est heurté en maladroit contre un caillou qu’il fallait voir ; ils étudieraient les mœurs de cette bête, ses besoins, ses goûts, ses organes, et le milieu où il lui faut vivre, la blâmeraient selon ses mouvemens et évolutions diverses, ou l’approuveraient, se disputeraient sans doute, j’en conviens, sur ledit mollusque ; Geoffroy Saint-Hilaire et Cuvier s’y sont bien disputés jadis, qui entendaient le sujet de haut ; mais enfin vingt-cinq journaux ne se mettraient pas d’un côté à crier haro à ce pauvre animal, à le huer sur tout ce qu’il ferait, lui chanter pouille sans désemparer ; et d’un autre côté, les cinq journaux restans n’emboucheraient pas la trompette héroïque pour tonner dès qu’il éternuerait : Bravo, mollusque ! bien éternué, mollusque ! et mille fadaises de ce genre. Voilà pourtant ce qu’on fait à Paris, à trois pas de nous, en cent lieux divers, non pour un mollusque, non pour un mouton, non pour un homme, mais pour la plus vaste, la plus inextricable, la plus effrayante machine animée qui existe, celle qu’on nomme gouvernement ! Quoi ! parmi tant d’hommes assemblés, ayant cœur et tête, puissance et parole, pas un qui se lève, et dise simplement : Je ne suis pour ni contre personne, mais pour le bien ; voilà ce que je blâme et ce que j’approuve, ma pensée, mes motifs ; examinez !

Mais admettons l’axiome reçu, qu’il faut toujours être d’un parti ; tout le monde répète qu’il faut être d’un parti, ce doit être bon (apparemment pour ne pas rester derrière, si d’aventure le chef de file arrive en haut de la bascule) ; soyons d’un parti, j’y consens, de celui qui vous plaira, je n’y tiens aucunement. Dites-moi seulement le mot d’ordre ; qu’est-ce qu’un parti sans principe ?