Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/773

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
767
REVUE MUSICALE.

mélodieuse et suave. Le trio qui suit commence par une belle et noble phrase qui se développe avec aisance et largeur ; malheureusement vers la fin, lorsque le drame devient impérieux, M. Niedermeyer l’abandonne complètement et le laisse seul se tirer d’affaire. La musique de M. Niedermeyer est d’une timidité désespérante ; le moindre choc lui fait ombrage et l’épouvante ; dès que la situation élève la voix et se met à gronder un peu plus fort que de coutume, elle hésite, elle recule, elle devient pâle et décolorée ; ainsi ce trio, qui débute à merveille, se termine par une strette écourtée et sans haleine.

Je passe sur un petit quatuor assez insignifiant qui ouvre le troisième acte, ainsi que sur un duo très long et très médiocre que dans l’intérêt de l’ouvrage et du compositeur on fera bien de retrancher au plus vite. — C’est le jeudi saint, la population de Rome se rend aux églises ; bourgeois, moines et manans traversent la scène. — Je ne sais si M. Niedermeyer a cherché à varier les tons de sa musique selon le caractère des gens qui passent ; en tout cas il aurait pu mieux réussir. Le motif qui accompagne la procession des moines manque de gravité, et ne se distingue du reste que par le mouvement qui se ralentit un peu. Rossini s’était imposé une tâche pareille au second acte de Guillaume Tell et dans une situation bien autrement difficile. Il s’agissait de faire entrer sur des phrases différentes trois légions d’hommes de la même classe et tous préoccupés de la même pensée. On sait de quelle façon victorieuse le grand maître s’est tiré de ce pas. C’est ainsi que le génie procède, il cherche ses contrastes dans le fond des consciences, et crée au besoin trois formes sublimes pour le même sentiment.

On a beaucoup parlé du trio pendant lequel le confident du patricien fait pacte avec deux bandits. C’est en effet un morceau fort louable et qui tient bien sa place ; cependant l’idée première, habilement mise en œuvre du reste, me paraît manquer de verve et d’originalité. J’arrive à la scène fondamentale de l’ouvrage. — Stradella monte à son pupitre et chante, le peuple l’entoure et lui répond. Quelle scène imposante et magnifique ! Sainte-Marie-Majeure, l’office du jeudi saint, les cardinaux et la foule qui s’interrogent et se répondent ; les lumières, l’orgue, l’encens, et, dans sa tribune, planant au-dessus de tous, le plus grand chanteur de l’Italie, un homme dont la voix fait tomber le poignard du bras des assassins ! En vérité, on a peine à concevoir qu’un musicien accepte une responsabilité pareille. En effet, il ne s’agit plus ici de composer selon la mesure de votre talent, de livrer à la foule votre inspiration de tous les jours, il faut que vous soyez sublime, et, quoi que vous fassiez, vous resterez toujours au-dessous du sujet. Or, pour surcroît de peine et de difficulté, voilà qu’il se trouve que l’un des plus mâles génies des temps