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vient contestable en étant trop exclusif, car il n’est pas possible d’admettre qu’on se soit laissé dépouiller, proscrire, brûler en France pendant trente ans, et qu’on s’y soit battu pendant quarante, au nom de la religion, sans que celle-ci ait été pour rien dans ce qui s’est fait. Les noms que prennent les choses sont les signes certains des passions qu’ont éprouvées les hommes et lorsqu’une époque a été remplie de divisions religieuses, il n’est pas raisonnable de lui attribuer uniquement des impulsions politiques. On ne saurait transporter uniquement son propre temps partout, faire de ses sentimens la règle de l’histoire, et de sa pensée la mesure des siècles Ce haut tribunal d’où l’on plane sur l’étendue des temps, d’où l’on instruit le procès des évènement, d’où l’on pénètre l’intention des hommes, d’où l’on juge la vie des peuples, il faut y monter avec un regard serein, un esprit libre, une conscience ferme. Ce que l’époque où l’on vit a acquis de plus que les autres doit servir à les mieux connaître, et la lumière plus vive du présent est destinée à éclairer toutes les obscurités du passé. Bien comprendre aide d’ailleurs à mieux juger, et la haute intelligence est ce qui se rapproche le plus de la souveraine justice.

Ce n’est pas que M. Rœderer ait manqué de pénétration ; il en avait même trop, et à force d’être spirituel, il lui arrivait d’être paradoxal. Il avait aussi le désir d’être juste, et c’était un goût trop passionné pour le bien qui l’éloignait quelquefois du vrai. Quant au talent, il péchait plutôt par excès que par défaut, discutant avec verve là où il aurait dû exposer avec simplicité, et mettant de l’esprit là où il ne fallait que du simple bon sens. Mais ses travaux historiques furent variés et considérables, ses aperçus ingénieux, ses intentions honnêtes, et ses livres originaux.

M. Rœderer vécut quinze ans dans cette laborieuse retraite qu’il sut honorer et embellir. Il passait une grande partie de l’année à la campagne, entouré de l’affection de sa famille et des empressemens de ses amis, également charmés de la vivacité de ses entretiens et des agrémens de son commerce. Il y préparait ses livres qu’il publiait et donnait ensuite libéralement, et il s’y procurait le plaisir du théâtre en faisant représenter de petites pièces fort amusantes qu’il composait lui-même. C’est au milieu de ces hautes occupations et de ces délassemens que le surprit la révolution de 1830. Le vieux patriote de 89 fut fier de la nouvelle victoire de son pays, heureux de sa liberté, ravi de sa modération. C’est ce moment qu’il choisit pour publier ses deux ouvrages sur l’esprit de la révolution de 1789, et sur les évènemens du 20 juin et du 10 août, qui serviront à faire mieux apprécier les bien-