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posé de deux notables de chaque rit, arménien, grec, catholique, juif, etc., de douze cheyks arabes, et de douze notables turcs, pris dans la classe des commerçans. Ses principales attributions auraient été de contrôler les actes des ministres, d’émettre une opinion sur les propositions qui seraient faites par eux, d’examiner le budget des recettes et des dépenses. On entrevoit là une sorte d’assimilation aux chambres représentatives d’Europe, et telle a été la pensée des personnes sous l’inspiration desquelles ce remaniement devait être fait. On devait aussi créer dans les villages des espèces de municipalités, et dans les départemens des conseils départementaux, qui auraient été en rapport avec le ministre de l’intérieur, responsable devant le grand conseil, ainsi que tous les autres ministres. C’était placer en dehors de la surveillance immédiate du pacha tout le système agricole et industriel, constituer des corps indépendans, et une sorte de représentation politique. Mais tout cela a été formellement désapprouvé et rejeté par Mohammed-Ali, qui a senti que l’on touchait à son pouvoir. La composition du conseil continuera à appartenir au pacha ; ce sera toujours, comme par le passé, une réunion de personnes affidées, auxquelles il distribue les affaires, et dont il se sert pour surveiller, ordonner, activer le système politico-industriel. Ce n’est point proprement un conseil, c’est-à-dire une machine à délibération, ou même à vote consultatif ; c’est plutôt une pépinière d’agens, dont le pacha se fait suivre partout, et auxquels il assigne des rôles actifs ; ce sont autant de représentans en mission d’une petite convention dont le pacha est l’ame. Quant à la responsabilité des chefs des administrations, ce n’est pas chose nouvelle en Égypte ; mais c’est vis-à-vis du pacha que cette responsabilité existe, et c’est lui seul qui approuve ou blâme la conduite de ses mandataires politiques. Il les tient, en effet, dans sa main, non-seulement comme ministres, mais encore comme hommes, comme époux, comme fils d’adoption, comme créatures ; et certes il y a là des liens bien plus profonds, une responsabilité bien plus intime, bien plus fatale, que tout ce qu’ont pu imaginer les publicistes d’Occident.

On avait songé aussi à créer un budget officiel. Nous croyons que ce budget peut bien être une œuvre historique, comme celle que nous avons faite, mais non une œuvre d’aministration, de prévision. Le budget vivant, c’est le pacha ; sa volonté seule règle les dépenses et les recettes, et cette volonté varie selon les évènemens ; les recettes dépendent aussi des circonstances commerciales. Dans les différens ministères, il ne peut y avoir que des comptes, et non un budget. Ce sont ces comptes qui seront soumis à l’examen du conseil, comme ils l’ont au reste toujours été. Mais, attendu la mobilité et l’imprévu de la vie administrative, attendu la négligence et l’incurie des écrivains, ces comptes sont ordinairement de véritables hiéroglyphes ; et le pacha juge plutôt la bonne administration du comptable, plutôt par la connaissance qu’il a de l’homme, que par les chiffons de papier appelés en Égypte des comptes. Ce n’est que lorsqu’il a quelques doutes sur la