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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/136

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REVUE DES DEUX MONDES.

a su exploiter avec beaucoup de verve et d’esprit, et à laquelle le public a pris un plaisir marqué.

Au début de la tragédie, Junie, la vieille nourrice de l’empereur, est agenouillée devant ses dieux domestiques ; elle leur demande avec ferveur le retour de Stella qu’elle a envoyée dans la Gaule narbonnaise, pour la soustraire aux fantaisies odieuses du vieillard de Caprée. En effet, Stella arrive chez sa mère, en compagnie du Gaulois qui l’a choisie pour épouse. Après une absence de quatre ans, les embrassemens sont tendres, et les confidences inépuisables. Mais Stella abuse peut-être du privilége quand elle paraphrase longuement l’Évangile, et embrouille l’histoire des trois Marie Madeleine pour faire comprendre qu’elle est chrétienne. La digne matrone n’a pas le temps d’exprimer son étonnement. On introduit l’empereur, qui prodigue à sa nourrice des témoignages d’affection filiale, et ne veut pas s’éloigner sans avoir celle qu’il appelle sa sœur. Stella paraît. Sa beauté augmente les désirs que les courtisans ont fait naître. Après le départ de l’empereur, Aquila, c’est le nom du Gaulois, sort avec sa femme et rentre aussitôt couvert de sang. Stella vient de lui être arrachée. Il a dû céder au nombre, mais il est temps encore de faire appel aux amis de sa famille, de poursuivre les ravisseurs. Il s’élance, mais il est retenu sur le seuil par Protogène, que suivent le préteur et quatre cliens. L’affranchi de Caligula réclame effrontément le Gaulois comme esclave, sa propriété ; cette déclaration, confirmée avec serment par les faux témoins, entraîne une sentence qui ravit la liberté à un homme libre. Malgré ses protestations, sa résistance et l’étonnement douloureux qui plaide en sa faveur, l’impétueux Aquila est traîné sans délai sur le marché aux esclaves.

Au second acte, l’empereur est enfermé dans son palais. L’orage gronde et ébranle douloureusement la constitution épileptique de Caligula. Il plie le genou devant les dieux ; mais l’orgueil et le blasphème doivent revenir avec le premier rayon du soleil. La blonde Stella est amenée, et livrée sans défense à un homme qui ose dire à sa sœur de lait, qu’il a beaucoup aimé ses trois sœurs. Ce début fait craindre une lutte effrénée, et on respire quand survient la nourrice qui tombe aux pieds de Caïus, espérant que l’empereur lui fera retrouver sa fille chérie. L’hypocrite pleure avec la pauvre mère, proteste de son empressement à la servir, et lui offre un asile au palais, ce qui n’est qu’une ruse pour la faire garder à vue. Cependant Messaline a compris que les charmes pudiques d’une jeune femme pourraient bien neutraliser les philtres qui lui ont asservi l’ame et les sens de Caligula. Elle déchaîne la sédition pour occuper le monstre, et le distraire de son nouvel amour. Le peuple affamé a mis en fuite les licteurs ; il s’est emparé du consul, et l’a condamné à la périlleuse mission de porter à Caligula ses doléances. Que demande donc ce peuple ? Un sacrifice pour apaiser les dieux que l’empereur a outragés ? Le magnanime Caïus, qui ne sait rien faire à demi, accorde au vœu public une victime humaine : il jette le consul par la fenêtre, et nomme à sa place son cheval Incitatus !

Chœréa reparaît au troisième acte. Dans un temps d’opprobre où la délation est un moyen de fortune assez sûr pour séduire les amis eux-mêmes, Chœréa n’ose ouvrir son cœur qu’en présence des dieux. Incliné et la tête voilée devant ses pénates, il révèle, dans une sorte de confession, que sa servilité apparente cache une ame républicaine. Cependant, malgré sa prudence, le tribun est devenu suspect à Caligula, ou plutôt, à Protogène ; on lui en-