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REVUE. — CHRONIQUE.

voie les deux jeunes amis de Lepidus qui se sont imprudemment compromis dans l’émeute. Réduit à se prononcer sur leur sort, il fait taire ses sympathies et les condamne, sacrifice douloureux, mais impérieusement commandé par le grand dessein qu’il médite, car il conspire avec Messaline contre Caligula ; il se flatte même d’avoir rencontré dans l’esclave gaulois, qu’il vient de faire acheter, un fidèle instrument de vengeance ; mais Aquila se souvient que l’empereur s’est assis sous le toit de Junie sa belle-mère, et il se refuse à frapper celui que, dans sa candeur, il respecte comme son hôte. Chœrea immolerait sans doute l’esclave à sa sûreté, sans l’arrivée de Messaline, qui raconte qu’une jeune femme, enlevée la veille, occupe déjà toutes les pensées de Caïus. Le barbare sait enfin le secret de son malheur : il demande un poignard, et se dévoue à la vengeance des conjurés

En effet, il ne tarde pas à être introduit, par la mystérieuse puissance de Messaline, dans une chambre du palais impérial où Stella est retenue. Par quelle fatalité les portes se referment-elles aussitôt ? c’est ce qui n’est pas expliqué au spectateur. Les époux comprennent qu’ils n’ont plus qu’à mourir. Stella, que soutient la ferveur religieuse, détermine Aquila à recevoir le baptême. À vrai dire, la conversion est un peu brusque, et quand le barbare répond Je le crois, aux phrases versifiées du catéchisme, il ressemble moins à un néophyte qu’a un bon mari qui craint de contrarier sa femme. La vertu de l’eau sainte opère néanmoins, et les amans chrétiens se sentent pleins de force en présence du tyran. Caligula exaspéré ordonne poétiquement à ses soldats de séparer le lierre du chêne. Stella est entraînée violemment. Aquila, attaché à une colonne et condamné à voir le supplice d’une épouse adorée, hurle et se tord dans ses liens. Attirée par des cris, la vieille Junie accourt assez tôt pour voir expirer sa fille ; elle pousse un cri de malédiction contre le monstre qu’elle a nourri, et d’un coup de poignard, elle fait tomber la corde qui retenait son fils d’adoption. Cette corde servira plus tard à la vengeance.

Nous retrouvons Caligula dans la salle du festin, mollement couché à la façon antique, et jouissant de tous les raffinemens de la sensualité romaine. Avec Caïus, il n’y a pas de bonne fête sans intermède sanglant. Il veut jouir de l’agonie de quelques condamnés. Le choix tombe sur les jeunes patriciens dont Chœréa a dû prononcer la sentence. L’empereur s’était promis d’offrir en spectacle à ses affranchis deux représentans des nobles familles humiliés et tremblans. Les deux condamnés bravent Caligula et le dévouent hautement aux dieux infernaux. Ce présage fait succéder aux joyeux ébats de l’ivresse des émotions sinistres. Convives et serviteurs se retirent tristement, et Caligula, resté seul, tombe accablé sur son lit. C’est l’instant épié par Junie et Aquila. Ils paraissent, l’une agitant son poignard, l’autre la corde qu’il a conservée. Les cris de Caligula ne servent qu’à attirer plusieurs conjurés. Rome est un instant sans empereur. La première pensée de Chœréa est pour la république ; mais déjà l’éveil a été donné aux prétoriens, qui ont besoin d’un César, et Claude leur a été désigné comme le futur maître du monde. — À moi l’empire se dit Claude tremblant de peur et de surprise, en se voyant élevé, sur le pavois, et Messaline, dans l’orgueil du triomphe laisse échapper le secret de son ambition, en s’écriant : « À moi l’empire et l’empereur ! »

On voit, par cette analyse, que la fantaisie a fourni à l’auteur autant de matériaux que la chronique. Le Caligula de la pièce n’est qu’un odieux tyran, qui n’a plus même la monomanie pour excuse. Ses cruautés, ses railleries atroces,