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moyen de s’exprimer clairement. Le moment vient même où l’entassement des images peut être appelé beauté. Quand le poète s’écrie qu’il ne veut pas mourir sans flétrir, sans percer de ses flèches, sans pétrir dans la fange les bourreaux qui moissonnent les têtes comme les épis d’un champ, sans tracer pour la postérité des portraits qui éternisent l’infamie de ses modèles, personne ne peut songer à lui reprocher la confusion des images qu’il appelle à son secours. L’apostrophe à la Vertu qui termine cette pièce a droit d’être placée parmi les plus beaux mouvemens de la poésie lyrique. Dire à la Vertu : « Pleure si je meurs avant d’avoir achevé mon œuvre de vengeance, avant d’avoir châtié selon leurs mérites les bourreaux qui m’ont condamné, » n’est-ce pas l’expression sublime de l’orgueil et de la colère ? Le poète sent toute la dignité de sa mission ; il n’hésite pas à se proclamer l’interprète de la justice, et il recommande sa vie à la justice, au nom de laquelle il parle. Dans l’exaltation qui le domine, il ne craint pas de nommer sa mort un malheur public, et il dit à la Vertu de pleurer, s’il n’a pas le temps d’achever sa tâche. Un pareil orgueil porte en lui-même son excuse, et se justifie par son évidente sincérité.

Parlerai-je des derniers vers d’André Chénier, de cet iambe inachevé qu’il murmurait sous les verroux, et qui semble compter les minutes qui le séparent du supplice ? Il y aurait plus que de la puérilité à tenter l’analyse d’un tel monologue. Cependant je ne crois pas inutile d’appeler l’attention sur la coquetterie empreinte dans cette pièce. On dirait que le poète essaie de consoler, d’embellir ses derniers momens par la mélodie de ses plaintes ; il retrouve pour ce chant funèbre une grace athénienne. Rien de confus ou d’indécis ; les paroles s’ordonnent avec une merveilleuse précision, et semblent défier le temps qui va leur échapper.

Entre les odes d’André Chénier il en est deux qui ont acquis une popularité méritée, l’ode à Charlotte Corday et la Jeune captive. La dernière est aujourd’hui dans toutes les mémoires, et résume, pour le plus grand nombre des lecteurs, tout le talent du poète. Sans partager cette opinion, nous pensons cependant que nulle part André Chénier n’a montré plus d’élégance et de souplesse, plus d’abondance et de pureté. L’ode à Fanny malade se distingue aussi par une mélancolie vraie et par une grace toute particulière. Le sujet de cette pièce est d’une extrême simplicité ; mais le poète en a su tirer un excellent parti. Sa maîtresse a été malade, et il chante la pâleur de sa maîtresse. Il remercie le ciel d’avoir respecté la beauté de