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REVUE. — CHRONIQUE.

voulu. Cela est si vrai, que la supposition du refus de cette rédaction par la chambre eût entraîné la chute du ministère, et la formation d’un cabinet, qui, n’importe sous quel nom, eût été forcé, pour obéir à son origine, d’intervenir en Espagne, à la première demande de M. d’Ofalia. Aussi M. Thiers, qui eût voulu être le maître de choisir et le temps et les circonstances, ne se souciait probablement pas de renverser le cabinet, et encore moins de l’éloigner à son profit.

On a cru grandir ce débat, qui n’avait pas cependant besoin d’être grandi, en disant qu’il s’agissait là d’une question de cabinet. Il s’agissait de bien plus encore, n’en déplaise à personne. Il s’agissait, pour M. Thiers de ne pas se jeter sur un pouvoir dont la possession immédiate, avec les vues qu’on lui prêtait, l’eût forcé d’aller plus vite et plus loin qu’il ne voulait ; et il s’agissait pour le ministère, pour M. Molé surtout à qui se trouve confiée notre sécurité extérieure, de rester ministre, non pas pour rester ministre, mais pour ne pas livrer le pays à un système dont l’exécution intempestive doit, selon lui, le mettre en péril. Chacun a bien rempli sa tâche, et dût-on voir ici une naïveté, et se tromper à notre dire, nous ajouterons que chacun est bien arrivé à son but.

Ce qui serait une naïveté réelle, ce serait de louer M. Thiers du magnifique talent qu’il a déployé dans la discussion de l’adresse. Comme orateur, M. Thiers est depuis long-temps au-dessus des éloges. Cette discussion a valu aussi à M. Molé, dans la chambre des députés, ce titre d’orateur qu’on ne lui avait jamais contesté dans la chambre des pairs, qualité qui ne comprend pas seulement une parole lumineuse et brillante, mais la distribution habile des moyens de défense et des argumens, ce qui n’était pas de pratique facile dans la double situation où se trouvait le président du conseil, ministre des affaires étrangères.

En cette double qualité, M. Molé était obligé de défendre deux situations toutes différentes en ce moment-là. La chambre ne voulait pas de l’intervention, il est vrai ; mais sa répugnance n’était pas encore très nette, et surtout elle n’était pas entière. En un mot, elle ne voulait pas s’engager, se rendre responsable d’une entreprise aussi grave. La chambre des députés est ainsi faite de tous les temps. Sauf quelques époques d’enthousiasme et d’ivresse, époques toujours fatales, qui marquent quelque funeste crise dans le pays, la chambre est timide comme les intérêts individuels qu’elle représente par-dessus tout, toute fiction constitutionnelle à part. La chambre se fût peut-être entendue sur l’intervention avec un ministère qui ne l’eût pas consultée. – « C’est la prérogative du roi de faire la paix ou la guerre, et non celle de la chambre, disaient quelques députés. — Et en effet, c’est peut-être la seule prérogative royale sur laquelle la chambre est très disposée, vu les suites, à ne pas vouloir exercer une prétention d’omnipotence. Le tableau des inconvéniens et des périls qu’il y aurait à se jeter en Espagne, que M. Molé s’est vu forcé de faire à la chambre, n’était donc pas de trop, sachant surtout quelle puissante parole il allait avoir à combattre. M. Molé